LexMag 7 - Magazine - Page 117
8h45
Dressing-room forcé : je sors de la garde-robe
13h
On m’extrait d’une housse trop petite, froissée et
malmenée. J’ai connu des réveils plus doux, mais je
suis une robe d’avocat : on ne me demande pas d’être
coquette, on me demande d’être prête. Je sens encore
l’odeur de café renversé et de stress accumulé. La
journée va être longue, je vais me défroisser
Pause sandwich, les miettes m’enrobent et me
chatouillent.
9h15
Je traîne sur une pile de dossiers, j’absorbe quelques
miettes, un peu de moutarde. Ce n’est pas ma partie
préférée. J’aimerais parfois que l’on pense à moi
autrement qu’en me jetant sur une chaise bancale.
À cet instant, je ne suis qu’un tissu qui attend la reprise.
Transport oppressant, la cuisson en robe des
champs
14h30
Je gratte, j’étouffe un peu, coincée entre un sac à
dos et brief case. J’observe du coin de la manche les
passants pressés. Qui devrais-je défendre ou accabler ?
Les témoins dé昀椀lent, les voix s’entrechoquent.
J’observe les pleurs, j’entends les trémolos dans les
voix, je bois les silences, capte la tension du public
et recueille les interrogations et certitudes.
Reprise, j’ai l’étoffe des héros.
9h30
Palais de justice, le bal va commencer
17h45
Contrôle de sécurité. Mes nouveaux boutons de velours
font sonner le portique. J’ai l’air suspecte, moi qui aie
pourtant prêté serment. On me palpe, on me soupèse,
pas le choix c’est le prix de la sécurité, la robe noire doit
montrer patte blanche.
Le verdict, comme une envie de se dérober...
10h00
Suspense. Je frémis sur ses épaules. Tout le monde
retient son sou昀툀e. La décision tombe. Je sens les
secousses, le soulagement pour certains, les soupirs,
parfois les larmes. Mon tissu s’alourdit que. Je suis à la
fois voile et refuge. J’emmagasine encore et encore.
Je suis toujours triste et éternellement sombre,
comme la couleur de ma robe.
Salle d’audience, la robe fait l’avocat
Je recouvre l’homme pour qu’il reprenne 昀椀gure.
Je prends ma place et lui donne de l’allure. Quand
j’entre, les bancs se redressent : c’est l’effet escompté.
Je sens le trac de celui qui me porte, ses gestes
nerveux, sa respiration rapide. Je suis son armure
un peu chiffonnée, mais assurément dressée.
11h15
Les plaidoiries, je tisse les éléments de la défense
Je vibre, je m’active, je gon昀氀e, la voix monte et mes
manches s’agitent. Le mouvement me fait tourner de
la robe, j’ai parfois l’impression que c’est moi qui parle.
Tout cela est grisant, j’aime cette mise en scène.
117
19h
Sortie du palais : les 昀氀ashs et les micros se
pressent, mon bavoir prend les postillons…
Devant les caméras, je continue le spectacle.
Je donne de la gravité au propos, j’incarne la Justice.
Sans moi, il serait un homme ou une femme parmi
d’autres. Avec moi, il est l’Avocat. Je suis son signe
distinctif, sa bannière, son fardeau.
20h15
La délivrance en mode robe de chambre
Accrochée de travers sur une chaise, fatiguée, imprégnée d’odeurs de stress, de tabac froid et de café
rassis. Demain, rebelote. Je n’ai pas choisi cette vie,
mais je la porte — et parfois, j’ai la conviction qu’elle me
porte aussi. Je suis une robe, je vis d’audiences et de
batailles. Et chaque jour, je me souviens que la Justice
se tisse aussi dans mes plis.