Lexmag Numéro 6 spécial été - Magazine - Page 17
confrontation actuelle entre l’IA et les professions
intellectuelles ? Est-ce une menace pour l’humain,
ou au contraire une opportunité ?
Idéalement, dès le primaire. Je pense en effet
qu’on peut commencer très tôt, en adaptant bien
sûr les approches. Prenez la capacité à dialoguer, à
s’écouter, à comprendre l’autre… c’est fondamental,
dès le plus jeune âge. Et il existe de très belles
initiatives en ce sens. Je pense notamment à celle
de Frédéric Lenoir, avec le programme SEVE :
Savoir-Être et Vivre Ensemble.
Je dirais que cela met justement en lumière toute
l’importance de nos compétences humaines. Je
ne suis pas du tout une spécialiste technique de
l’intelligence arti昀椀cielle. Mais, comme enseignante
et directrice pédagogique, j’ai vécu de plein fouet
l’arrivée de ChatGPT 昀椀n 2022. Cela a bouleversé du
jour au lendemain notre manière de transmettre et
d’évaluer. Tous les pédagogues du monde ont été
concernés.
Je connais très bien, j’ai suivi la formation SEVE !
J’ai même animé quelques ateliers philosophiques
en primaire. Le but est justement d’éveiller l’esprit
critique, le discernement, le respect de l’autre…
C’est très riche. On apprend autant qu’on transmet.
Quand on parle d’intelligence, l’IA en fait est
très e昀케cace sur ce qu’on appelle l’intelligence
analytique : elle traite et organise très rapidement
des données. Mais on oublie trop souvent qu’il
existe d’autres formes d’intelligences : l’intelligence
émotionnelle, l’intelligence relationnelle,
l’intelligence créative… Celles-là ne sont pas du
ressort des machines.
C’est une magni昀椀que initiative. Je n’ai pas encore
pu me former, faute de temps à l’époque, mais c’est
dans mes projets. J’admire énormément le travail
de Frédéric Lenoir. J’ai d’ailleurs son dernier livre
sur ma table de chevet. Et vous le savez mieux que
moi pour les avoir animés vous-même : ces ateliers
permettent aux enfants de structurer leur pensée,
d’écouter, de respecter les différences, de ne pas
réagir trop vite… Des gestes simples comme celui
du « bâton de parole » peuvent enseigner quelque
chose de précieux.
Et surtout, l’IA n’est pas intelligente en elle-même :
elle réagit à un prompt, à ce qu’on lui demande, elle
retraite les données qui lui ont été transférées. Elle
ne pense pas. Elle ne crée pas dans le sens humain
du terme. C’est pour cela que je crois profondément
que l’esprit critique, aujourd’hui, est plus que jamais
essentiel face aux usages de l’IA. On ne peut pas
déléguer notre pensée.
Donc oui, ces apprentissages devraient commencer
le plus tôt possible. Quand on forme un adulte, on va
bien sûr l’aider à progresser, mais cela lui demande
plus de temps, plus d’effort. Ce qu’on instille très
jeune est souvent plus ancré.
L'IA nous oblige à
" exercer pleinement
notre esprit critique
Il ne s’agit pas de poser notre cerveau à côté de
l’ordinateur et d’attendre que la machine pense à
notre place…
"
Exactement. Ce serait une illusion dangereuse.
L’IA peut nous faire gagner beaucoup de temps,
en automatisant des tâches répétitives. Mais elle
a ses biais, ses limites, ses angles morts. Il faut en
comprendre le fonctionnement, les risques, les
atouts — et se mettre en position « méta » pour en
faire bon usage.
Avec l’émergence de l’intelligence arti昀椀cielle, et
des réseaux sociaux aussi, toutes ces questions
sur les compétences humaines résonnent
encore plus fortement. Selon vous, que révèle la
17