Lexmag Numéro 6 spécial été - Magazine - Page 18
L’esprit critique, c’est la recherche de la 昀椀abilité des
sources, c’est le refus de toute a昀케rmation qu’on
n’a pas soi-même véri昀椀ée. Et avec l’IA, cela devient
crucial : qui a conçu l’algorithme ? Quelles données
ont été utilisées ? Y a-t-il des biais, des erreurs dans
les résultats ? Quel impact l’IA peut-elle avoir sur
la démocratie, sur la société, sur l’environnement ?
Toutes ces questions nous obligent à reprendre
notre place de sujet pensant, justement.
Le juriste n'est
" pas augmenté,
il est éclairé
"
Justement, dans le monde juridique, on parle
souvent d’« avocat augmenté », de « juriste
augmenté »... Mais en vous écoutant, un autre mot
me vient : « éclairé ». Finalement, le juriste éclairé,
c’est celui qui sait utiliser l’IA, qui comprend ce
qu’il en fait, qui garde son esprit critique et son
libre arbitre. C’est un terme qui vous parle ?
Oui, beaucoup plus que celui d’« augmenté ».
Ce mot-là me dérange un peu : il évoque quelque
chose d’arti昀椀ciel, presque de transhumaniste
— un fantasme à la Elon Musk. Je préfère de
loin l’idée d’un juriste éclairé, lucide, capable de
discernement.
D’ailleurs, c’est un mot qui m’est cher. J’ai enseigné
dans une école d’ingénieurs fondée par les jésuites,
et j’ai été formée à la méthode ignacienne : celle
de la relecture, du discernement des esprits. C’est
une vraie compétence humaine. Il s’agit de se
demander : que se passe-t-il en moi ? Que suis-je en
train de vivre, de penser, de décider ? Est-ce juste ?
Est-ce aligné avec mes valeurs ? Est-ce le bon choix
aujourd’hui pour moi ?
C’est cette lucidité-là qui me semble capitale
aujourd’hui. Ne rien accepter sans l’avoir
questionné. Et cela vaut aussi bien pour l’IA que
pour nos propres convictions. Le discernement,
c’est ce qui permet à l’humain de rester libre.
C’est passionnant. Et tellement juste.
Le discernement comme réponse à la
complexité technologique…
Oui. J’ai beaucoup lu sur Léonard de Vinci à
l’occasion du 500e anniversaire de sa mort.
Ce qui me fascine chez lui, c’est justement cette
curiosité insatiable, cette capacité à questionner
tous les domaines — la science, l’art, l’anatomie, la
mécanique… Il ne rejetait rien, mais il interrogeait
tout. Il cherchait la vérité, sans jamais s’enfermer
dans les certitudes.
C’est pour moi une posture très moderne. La
science, après tout, c’est cela aussi : l’acceptation
du doute, la remise en question constante. Et c’est
cette attitude qu’il nous faut cultiver face à l’IA.
Le métier d'avocat,
" c'est d'abord un métier
profondément humain
"
J’aimerais avoir votre regard sur les professions
juridiques, même si ce n’est pas votre domaine
d’expertise. Pensez-vous que les compétences
humaines y sont aussi essentielles que dans
d’autres métiers ? Parce qu’on oublie parfois à
quel point ce métier est rude, psychologiquement
exigeant, et rarement préparé à cette dimension…
Je ne connais pas le métier d’avocat de l’intérieur,
mais je le perçois effectivement comme un métier
très humain. On est au contact permanent des
autres, souvent dans des situations de tension ou
de con昀氀it. C’est un peu comme les enseignants, les
soignants, les psychologues — des métiers de la
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