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bêtises. Mais ça ne m’agace pas du tout de voir des
gens intervenir, comme spécialistes de la procédure
ou experts d’un domaine du droit, même sur des
dossiers dans lequel leur cabinet n’intervient pas.
Et heureusement, parce que parfois le secret professionnel m’empêcherait de dire quoi que ce soit.
Mais je préfère avoir une analyse d’un bon pénaliste
sur BFM TV que d’un pigiste débutant en police-justice qui dit des bêtises.
Il existe, en France, une certaine crispation autour
de la réussite : dès qu’on évoque les revues, le
succès, la notoriété, on suscite souvent une pointe
d’amertume — c’est un état d’esprit assez typique,
même si tout le monde ne réagit pas ainsi. Ce qui
m’étonne encore davantage, ce sont ces confrères
qui martèlent : « Vous n’avez pas le droit de vous
exprimer sur un dossier qui n’est pas le vôtre. »
Or, la mission du barreau — et je parle aussi en
ex-conservateur du musée du Barreau — est de
montrer qu’il peut apporter une analyse juridique,
un éclairage, une expertise, de transmettre et de
vulgariser une matière encore opaque : la justice.
Voir une consœur ou un confrère expliquer au grand
public le déroulement d’une procédure, le sens
d’une dépense, ne me dérange absolument pas ;
au contraire, c’est capital. Que certains passent leur
temps à dire « il ne faut pas qu’elle parle », « il ne faut
pas qu’il s’expose » ? Très franchement, ce n’est pas
leur problème...
Le barreau ne communique-t-il pas assez,
ou pas assez bien ? Et, puisqu’on associe souvent
la notoriété des avocats à celle de leurs dossiers
« people », allez-vous volontairement chercher
ces clients médiatisés ?
Comme tout confrère, je cherche des clients ; prétendre le contraire serait hypocrite. Même une belle
clientèle s’érode : certains disparaissent, d’autres
sont rachetés, parfois un con昀氀it d’intérêts nous
empêche de poursuivre. Il faut donc sans cesse
renouveler l’arrivée de dossiers. En revanche, je ne
« chasse » pas la médiatisation. Lorsque je défends
une personnalité et qu’elle se retrouve soudain en
détention, je vois a昀툀uer quinze lettres d’avocat qui
la démarchent ; je trouve cela détestable.
Que la radio de la prison relaie mon nom, soit ; mais
aller écrire à un prévenu déjà assisté pour lui offrir
mes services ? Jamais. Avoir des clients connus
est utile, surtout parce que leurs propres communicants ne maîtrisent pas toujours la logique
judiciaire. Aujourd’hui, de grandes agences ont
créé des cellules « communication de crise », mais,
sans connaître le secret de l’instruction ; elles
ignorent ce que nous, avocats, savons de façon
con昀椀dentielle.
J’ai ainsi travaillé pour EY : Philippe-Henri Dutheil,
ancien bâtonnier des Hauts-de-Seine m’adressait
des dossiers en expliquant : « Techniquement, on
est solides, mais nous ne savons pas parler aux
journalistes ; nos clients ont des équipes de com qui
ne comprennent rien à notre métier. » Je gérais la
partie judiciaire du message : comme atténuer un
rapport de la Cour des comptes, par exemple, dont
la sortie risquait d’être annoncée au journal du
20 heures. Cette collaboration protège avant tout le
client ; c’est une extension naturelle de la défense.
Vous arrive-t-il de vous sentir manipulé par les
médias ? Votre travail consiste à les mener, mais
parfois, j’imagine, cela peut vous échapper.
Je sais en général quels risques je prends quand je
m’adresse à un journaliste qui traite un sujet d’ensemble ou qui n’est clairement pas de mon côté.
J’interviens souvent dans des affaires pour lesquelles l’opinion publique n’éprouve aucune sympathie : un meurtre, un dossier de pédophilie… Dans
ces cas-là, on se doute que l’article n’aura guère
de chance d’être favorable au client. Pourtant, le
papier peut quand même apporter des éléments,
corriger un malentendu ; il su昀케t de savoir où l’on
met les pieds. Au fond, je ne regrette pour ainsi dire
jamais d’avoir communiqué, tant que je maîtrise les
règles du jeu.
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