LexMag 7 - Magazine - Page 21
J’ai un exemple récent : une consœur a fait l’objet
d’un beau portrait en quatrième page de Libération.
Elle m’a con昀椀é : « Je ne suis pas enchantée. Il y a
des phrases désagréables auxquelles je ne m’attendais pas ». J’ai répondu que, par principe, un
« quatrième » de « Libé », signé par un vrai journaliste de cette page, ne peut pas être 100 % 昀氀atteur.
C’est normal.
"
Et vous l’acceptez sans di昀케culté ?
Oui, bien sûr. Prenez mon propre exemple : après
l’affaire Houellebecq, il y a vingt-deux ou vingt-trois
ans, Luc Le Vaillant m’a consacré un portrait de
Libération. Nous n’étions pas spécialement proches,
mais j’ai joué la carte de la transparence totale ; je lui
ai tout raconté, en lui demandant seulement de laisser trois con昀椀dences très personnelles hors article
— dont une concernant mon père — indispensable,
selon moi, pour qu’il comprenne qui je suis. Il a respecté la demande. Le portrait est un peu acide par
endroits, il comporte forcément quelques piques,
mais il est très bien écrit, rythmé, et c’est le jeu :
un journaliste n’est pas un attaché de presse.
Dialoguer avec la presse
est essentiel, et plus encore
aujourd’hui. Le nombre
de procès ou de débats
de société à dimension
judiciaire massivement
médiatisés est
impressionnant ; prétendre
que cette couverture
n’in昀氀ue en rien sur le
déroulement d’une affaire
serait vivre hors sol.
"
qui défendent des « gens peu recommandables »:
narcotra昀椀quants, hommes politiques sulfureux,
accusés dans les affaires MeToo… C’est aberrant ; ils
oublient leur métier.
Selon vous, quel rôle l’avocat doit-il jouer dans
le débat public ? Avec l’explosion des réseaux
sociaux, est-ce plus compliqué de communiquer
qu’à l’époque de Jacques Vergès ?
Un article n’est pas une publicité ; c’est le travail
d’un journaliste, pas celui d’un communicant, et
je respecte cette différence. D’ailleurs, j’en parlais
encore récemment en rendant hommage à Thierry
Ardisson après son décès : je suis passé plusieurs
fois dans ses émissions, et l’exercice n’avait rien
d’un confort de complaisance. Sur France 2, à
20 h 30 ou 20 h 50, il vous lançait : « Vous défendez
le diable, vous ne plaidez que pour des monstres ! »
C’était rude, mais c’est le prix de l’exposition. Si l’on
ne supporte pas de recevoir une ou deux attaques
frontales, il ne faut pas faire ce métier ; ce n’est
plus de la défense, c’est autre chose.
Pas vraiment. L’histoire du barreau le montre —
que je viens donc de la raconter chez Albin Michel.
Georges Kiejman, Vergès ou d’autres amis me l’ont
dit : ils ont déjà reçu des rappels à l’ordre, de leur
Ordre voire des sanctions, pour avoir « trop parlé ».
Aujourd’hui, on tombe à bras raccourcis sur une
avocate du procès « Pelicot » parce qu’elle tweete
dans le « mauvais » camp ; c’est la même logique
qu’il y a quarante ans. Rien n’a changé, pas même au
sein de nos ordres.
Tout est-il vraiment défendable, selon vous ?
Allez-vous continuer à vous battre pour que cela
évolue ?
Oui, tout — et heureusement. Cela ne signi昀椀e pas
que j’accepte chaque affaire, mais, par principe,
toute cause a droit à une défense. Or, depuis cinq
ou six ans, je vois des confrères critiquer ceux
Lorsque j’étais au Conseil de l’Ordre, j’ai essayé d’ouvrir un peu les vannes. Brider la parole des avocats
ne protège pas la déontologie ; cela libère simplement le terrain pour d’autres professions — ou pour
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