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des non-professionnels — qui nous concurrencent
sans scrupule. L’exposition fait partie de la survie du barreau ; les ordres devraient en faire une
mission.
Prenez les notaires, ils sont bien plus offensifs :
regardez les pleines pages d’expertise qu’ils
publient dans la presse, orchestrées par leur
Conseil supérieur. Ils communiquent mieux que
nous. Récemment, j’ai encore été invité à une émission sur une chaine numérique créée par les commissaires de justice ; eux aussi ont compris l’enjeu.
Et l’écriture, dans tout ça ? Pourquoi publier
autant ?
Les livres m’ont littéralement sauvé : bibliothèque
municipale, école républicaine, l’ascenseur social
passait par la lecture. En France, la 昀椀gure de
l’avocat-écrivain existe depuis toujours ; j’y suis
très attaché. Lorsque j’étais au Conseil de l’Ordre,
j’ai cofondé, avec Louis Degos, qui a été bâtonnier,
le Salon du livre du barreau de Paris — il existe
encore. Nous voulions mettre à l’honneur l’érudition de la profession, son talent littéraire. Certains
avocats ne sont pas stylistes, mais ils aiment
la langue et savent la manier. Bertrand Périer,
par exemple, a fait plus pour l’éloquence que bien
des donneurs de leçons.
Écrire relève aussi, disons-le, d’une petite jalousie : beaucoup rêveraient d’y consacrer leur vie.
J’aurais pu, il y a quelques années, vivre uniquement de ma plume ; je n’ai jamais voulu quitter le
barreau. Les deux se nourrissent. Le cabinet est un
poste d’observation incomparable : nous sommes
les derniers confesseurs. En une heure, un client
vous livre presque toute sa vie ; il ne s’agit pas de la
dévoiler, mais de la comprendre. C’est une matière
romanesque incroyable — bien plus rapide (et moins
coûteuse) qu’une psychanalyse de sept ans !
Êtes-vous le même homme en privé et en public ?
Je parle peu hors prétoire ; nous avons tous deux
visages. La posture de défense relève aussi du jeu
d’acteur. Les articles assassins, les piques :
ça fait partie du décor, presque de la légende.
Robert Badinter me disait un jour, alors que nous
comparions nos noms dans un torchon antisémite :
« Sois 昀椀er d’être à leurs yeux dans le camp des
humanistes ; et ne faisons rien, car rien ne sert
d’attaquer de tels imbéciles. ».
Ces attaques vous ont 昀椀nalement servi, donc ?
Oui. L’avantage, c’est qu’on peut les ignorer : ne pas
leur accorder l’honneur d’un droit de réponse. Au fond,
ces gens nous rangent, malgré eux, du bon côté.
Avez-vous déjà regretté une prise de parole
publique dans un dossier ? Vous êtes-vous dit :
« J’aurais mieux fait de me taire » ?
Je n’ai jamais regretté mes mots. En revanche,
il m’est arrivé de regretter la surexposition d’un
dossier. Au début, j’ai fait sonner les tambours pour
remplir la salle ; puis l’affaire m’a échappé — je ne
suis ni le juge ni le jury — et mon client s’est retrouvé
en mauvaise posture. Là, je me dis : « Mauvaise
stratégie, j’aurais dû lever le pied plus tôt. »
Mais quand on entre dans l’arène, il faut assumer.
Voici un exemple, prenez Johnny Depp : lorsqu’il
a poursuivi son ex-compagne, l’enjeu n’était pas le
chèque de plusieurs millions, mais son image. Il a
médiatisé l’affaire à fond. Dans ces cas-là, on se
répartit les rôles ; je préviens souvent mes clients :
« Le méchant, ce sera moi. »
Franchement, vous comprenez qu’on puisse vous
détester pour les causes et les clients que vous
défendez. Ça ne vous gêne pas ? Vous dormez bien ?
Je dors plutôt bien — peu, mais bien. Je reste très
serein : je connais le monde de l’opinion publique
et de la communication, j’ai même enseigné ces
questions à Sciences Po. Je ne découvre pas soudain que X, l’ex-Twitter, peut être violent ; ce n’est
pas une surprise qui me fait tomber de mon nid au
réveil ; c’est une partie du rôle de ce réseau social.
Vous n’êtes pas tenu de répondre à cette question,
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