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judiciaire pendant près d’un an, avec un entraînement quotidien dans la dernière ligne droite. Le jour
du procès, quatre cents journalistes demandaient
une place ; Al-Jazeera campait 24h/24 devant
mon cabinet, CNN était là aussi — j’ai même prévenu ma mère : « Regarde, ton 昀椀ls passe sur CNN
et Al-Jazeera le même jour. Cela ne se reproduira
peut-être pas ! » Houellebecq comprenait exactement l’enjeu médiatique ; et nous avons gagné.
Autre souvenir : Chems-Eddine Ha昀椀z, aujourd’hui
recteur de la Grande Mosquée de Paris, était l’un
de mes contradicteurs dans ce dossier. Sentant
la tension monter, il m’a proposé trois émissions
sur Radio Orient, Radio Soleil et Radio Maghreb
pour expliquer, ensemble, la justice républicaine.
Résultat : le climat s’est apaisé chez les 昀椀dèles.
Après notre victoire, il a rédigé un communiqué
annonçant un appel… en me prévenant qu’il allait
retirer ce recours dix jours plus tard. Nous sommes
devenus amis. Vingt ans après, devenu recteur, il
m’a invité à déjeuner : « On me traite de recteur trop
républicain, donc forcément homosexuel, franc-maçon… Tant qu’à faire, autant montrer que l’avocat
de Houellebecq est aussi un de ceux de la Grande
Mosquée. » J’en suis très 昀椀er.
Voilà pourquoi je n’imagine pas un autre métier :
être avocat, c’est disposer d’un angle de vue unique
sur la société, presque celui du dernier confesseur.
Comment votre entourage vit-il tout cela ?
Durant le procès Houellebecq, nous avons passé
un an sous surveillance, avec des menaces quotidiennes, parfois physiques — un peu comme Richard
Malka. Mon entourage était évidemment inquiet ;
moi aussi, d’ailleurs, mais davantage pour eux que
pour ma réputation personnelle.
J’ai deux 昀椀lles encore jeunes. L’aînée, vingt ans,
veut devenir journaliste ; forcément, elle n’est pas
toujours « de mon camp » sur certains dossiers.
C’est sain ; nous en débattons. Un exemple : je
défends Gabriel Matzneff, peu populaire auprès
de sa génération. Ma 昀椀lle l’a déjà rencontré et a
lu « Le Consentement ». Je l’ai d’ailleurs encouragée dans cette lecture : « Très bien, lis-le, puis
discutons-en. »
Nous avons eu une conversation riche ; je lui ai
proposé ensuite de lire deux autres textes pour
confronter les points de vue. Je veux qu’elle sache
écouter deux voix, comparer, puis se faire sa propre
opinion — c’est la base du journalisme qu’elle souhaite exercer.
Votre approche ne semble pas être de convaincre
à tout prix…
Exact. Thierry Lévy et Jean-Denis Bredin ont écrit
un ouvrage intitulé « Convaincre » ; tout y est. Notre
mission première, c’est de gagner au tribunal. Pour
y parvenir, il arrive qu’il faille aussi gagner l’opinion
publique, rallier des journalistes, faire parler de l’affaire. Mais mon objectif n’est pas d’obtenir l’assentiment d’un journaliste ou qu’il trouve ma position
« respectable ». Ce que je veux, c’est une décision la
plus favorable possible pour mon client, ou du moins
moins sévère qu’elle ne pourrait l’être.
Dans cette logique, vous pouvez donc défendre
n’importe qui.
Bien sûr, sauf à ce que mon opinion prenne le
dessus et oblitère mes compétences. Auquel cas
je refuse, comme je le fais face aux demandes des
négationnistes qui viennent me solliciter, car je
défends la liberté d’expression.
Ne pas être dans le bon camp, cela fait aussi parfois
sourire : ma boulangère, par exemple, m’a vu un soir
au journal télévisé défendre, selon elle, « un barbare »… dont je suis l’avocat. Le lendemain, elle me
complimente : « Bravo pour avoir fait condamner ce
tueur ! » Je ne la détrompe pas : elle est contente, et
moi aussi.
Vous êtes heureux ?
Oui. J’adore ce métier ; malgré les di昀케cultés, les
épreuves, les attaques, rien de tout cela n’est vraiment grave. La profession est si nourrissante.
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