Lexmag Numéro 6 spécial été - Magazine - Page 30
soutien d’un mouvement. Le droit occupe une
place prépondérante, car sinon le risque est une
captation idéologique d’une situation humanitaire.
Or, le droit, lui, n’est pas contestable.
C’est un garde-fou
Tout à fait. C’est notre langage commun. Quand
la Cour internationale de justice rend un avis ou
quand la CPI se prononce sur des mandats d’arrêt,
cela donne un socle d’argumentation partagé.
C’est ce socle qui permet un débat argumenté,
développé, qui ne se limite pas à de la rhétorique.
Ainsi, parmi les enseignements qui m’ont le plus plu
— indépendamment de ma formation universitaire
— ce sont les conférences sur les libertés
fondamentales à l’école des barreaux, présentées
par des intervenants variés, du pouvoir politique
comme de l’administration. Ça m’a vraiment
passionné. Et c’est vrai par rapport à ce que vous
disiez sur l’accord entre vocation et pratique :
aujourd’hui, j’ai la chance d’exercer dans un domaine
qui m’a toujours attiré. J’ai un exercice professionnel
en adéquation avec mes rêves de jeunesse.
Et donc, ça permet d’être à la fois épanoui d’un
point de vue professionnel, mais aussi d’un point de
vue citoyen. Pour moi, il n’y a pas de frontière entre
les deux. C’est une continuité.
Vous vous êtes donné les moyens aussi pour
y arriver. Ce n’est pas juste une volonté. Ça
suppose beaucoup de rigueur et de travail.
Vous êtes également auteur d’ouvrages. Vous
avez contribué à une tribune1 dans Le Monde
sur l’intelligence arti昀椀cielle et sur l’idée d’un
danger de la pensée juridique. Je l’ai trouvée
évidemment très intéressante, et courageuse.
On a l’impression qu’on marche un peu sur des
œufs. Ma question, c’est : qu’est-ce qui, selon
vous, menace aujourd’hui le plus l’autonomie
intellectuelle ?
Bien sûr. Un mot de présentation complémentaire
sur cette tribune : il y a évidemment mon exercice
professionnel, en droit pénal et en libertés
publiques, mais j’ai aussi toujours pensé que l’avocat
jouait un rôle dans la cité — un rôle de transmission.
J’ai écrit un ouvrage, « Revendiquer le droit de
désobéissance », coécrit avec un journaliste de
« Mediapart », sur les dérives autoritaires. Un
tract chez Gallimard, avec William Bourdon, sur
les violences policières. Et un autre ouvrage, plus
juridique, «À Armes inégales », sur les déséquilibres
de la justice quand des fonctionnaires de police
sont mis en cause. Et un dernier, « La défense de
l’impossible », sur le procès de l’attentat de Nice,
en appel : une sorte de caméra embarquée dans le
temps d’un procès.
Selon moi, ces écritures, ces tribunes, c’est aussi
une manière de démocratiser ce que nous faisons.
Et la question de l’intelligence arti昀椀cielle, qui affecte
la transmission directe et humaine du contenu et du
savoir, est devenue une préoccupation majeure pour
moi ces derniers mois.
Et à double titre ?
Oui. D’un point de vue personnel : ce qui m’a attiré
dans les sciences humaines et dans le droit, c’est la
capacité à échanger, à argumenter, à rédiger. L’IA
menace ces acquis-là. Notamment chez les avocats,
cette capacité de ré昀氀exion, de rédaction, de prise de
parole… tout cela est remis en cause dès lors qu’on
délègue à un outil.
Parce que l’IA peut générer des courriers, des
éléments… et on y reviendra, mais je vois aujourd’hui
une arti昀椀cialisation de la pensée, là où la société a
besoin d’échange, de confrontation verbale. C’est
1. Vincent Brengarth , "L’intelligence arti昀椀cielle fait peser des menaces sur la pratique de la profession d’avocat et sur
sa philosophie" - Le Monde, 8 mars 2025. En ligne https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/03/08/l-intelligencearti昀椀cielle-fait-peser-des-menaces-sur-la-pratique-de-la-profession-d-avocat-et-sur-sa-philosophie_6577366_3232.html
30