LexMag 7 - Magazine - Page 30
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Quand la justice bloque, la médiatisation permet de relancer les
choses, d’interpeller. Certains journalistes nous apportent même
des témoignages que nous n’avions pas. (...) Notre rôle d’avocat,
c’est aussi de conseiller les familles sur les médias à privilégier.
mais aussi les victimes, combien certains dossiers
criminels étaient abandonnés faute de temps. J’ai
donc repris le pénal, mais du côté des victimes.
Quand j’ai commencé, un avocat, Maître Garaud se
disait « avocat de la légitime défense ». Moi, je voulais prendre le contre-pied : que les victimes soient
des citoyens qui réclament une justice normale,
qu’elles soient entendues. J’ai favorisé la création d’associations locales pour que les victimes
prennent elles-mêmes la parole.
Vous êtes attaché à des affaires pénales très
médiatisées. Comment accompagnez-vous les
familles face aux médias ?
D’abord, elles sont libres. Si les médias veulent
les interviewer, c’est à elles de choisir. Certaines
refusent toujours, d’autres acceptent, parfois parce
qu’elles ont l’impression de faire avancer le dossier.
Di昀케cile de médiatiser une affaire sans victime ou
proche prêt à s’exprimer, car les médias veulent que
la douleur et le combat soient incarnés.
Le premier travail, c’est de la pédagogie : expliquer comment fonctionne la justice, ce qu’on peut
attendre d’elle, ce qu’est un procureur, un juge.
À écouter
L'affaire Estelle Mouzin
débute le 9 janvier 2003,
avec la disparition de la
昀椀llette. En 2017, Michel
Pomarède mène, pour
France Culture, une
enquête radiophonique à
la rencontre des protagonistes de cette affaire.
En 2023, il reprend cette
enquête suite au procès
de Monique Olivier.
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Sans cette compréhension, les familles sombrent
dans le silence et l’incompréhension.
Quelle importance accordez-vous à la collaboration
avec les journalistes ?
Une grande importance. On construit parfois
une relation de con昀椀ance, au point de leur réserver des informations. Quand la justice bloque,
la médiatisation permet de relancer les choses,
d’interpeller. Certains journalistes nous apportent
même des témoignages que nous n’avions pas.
Mais il y a aussi des dérives : la surmédiatisation, comme dans l’affaire Grégory, peut mener à
des drames. Certains journalistes manquent de
déontologie, allant jusqu’à acheter les photos des
familles pour ne jamais les rendre. Heureusement,
d’autres font preuve de respect et de délicatesse.
Notre rôle d’avocat, c’est aussi de conseiller les
familles sur les médias à privilégier.
Comment est née la création d’un pôle spécialisé
Cold Case ?
Par une conjonction de volontés. Avec le Procureur
général Dallest et Madame Kheris doyenne des juges
d’instruction à Paris très impliqués sur ces crimes,
nous avons convaincu le ministère de la Justice.
Éric Dupond-Moretti, alors ministre, avait luimême représenté une victime de Chanal, un tueur
en série, et avait constaté les lacunes du traitement judiciaire.
Et puis il y a eu l’échec terrible de l’affaire Estelle
Mouzin. Dès le début, les Belges avaient pointé
Fourniret comme suspect, mais la justice française
n’a pas suivi. Il a fallu vingt ans, des recours jusqu’à
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