Lexmag Numéro 6 spécial été - Magazine - Page 31
On le voit déjà : plus
" une information est
facilement accessible,
moins on fait l’effort de
la mémoriser. Et ne plus
mémoriser, c’est perdre
la capacité à raisonner.
une identité humaine, citoyenne.
Et si on perd la maîtrise de la langue, de la
formulation, qu’on la con昀椀e à une technologie,
on empiète sur ce qui nous relie collectivement.
Il su昀케t également de constater le nombre
grandissant d’États qui questionnent le rôle des
écrans sur les jeunes générations pour constater
que la technologie peut avoir des effets délétères.
Et la deuxième inquiétude ?
Elle est sociale. On vit dans une société très
désindustrialisée. Aujourd’hui, beaucoup de
métiers sont tertiaires. Et ils sont aussi concernés
par le remplacement, au moins partiel, par
l’intelligence arti昀椀cielle. Pour les avocats, c’est
une remise en cause de ce que j’appelle l’artisanat
du droit : c’est-à-dire notre capacité à savoir, à
analyser. Et on le voit déjà : plus une information
est facilement accessible, moins on fait l’effort de
la mémoriser. Et ne plus mémoriser, c’est perdre la
capacité à raisonner.
"
encyclopédies à la main. Et on ne peut qu’imaginer,
aujourd’hui de façon encore abstraite, le niveau que
pourra atteindre l’intelligence arti昀椀cielle demain.
Ce qu’on considère aujourd’hui comme une
assistance pourrait devenir une inversion du
rapport : l’humain devenant l’assistant de la
machine. L’IA pourrait faire tout sauf ce qu’elle ne
sait pas encore faire — plaider, présenter un dossier.
Et il y a autre chose : la masse d’informations que
l’IA peut traiter est telle que l’intelligence humaine
ne pourra plus la contrôler. Donc si on veut que
l’IA reste un outil d’assistance, cela supposerait
de véri昀椀er tout ce qu’elle produit… ce qui est
paradoxal, puisqu’on gagnerait moins de temps que
ce qu’on perd à véri昀椀er.
Parce qu’on ne raisonne qu’à partir de ce qu’on
connaît ?
Exactement. On a besoin à la fois d’une
connaissance du droit et d’une expérience
jurisprudentielle. C’est la combinaison des deux
qui permet de construire un raisonnement. Et je
me demande vraiment comment on va pouvoir,
demain, raisonner, si on ne maîtrise plus ni le
savoir ni l’analyse.
On a vu ça avec cet avocat américain, qui avait
utilisé ChatGPT et inventé des jurisprudences.
Oui, typiquement. Il ne les a pas véri昀椀ées. Il a
voulu gagner du temps, mais il s’est pris les pieds
dans le tapis. Alors après, peut-être que ma vision
est jugée passéiste. Je ne pense pas être vieux
jeu. Mais pour moi, le travail est un vecteur de
développement personnel — à condition qu’il ne soit
pas subi ou dominé économiquement.
Mais on pourrait vous titiller gentiment :
un assistant ou un stagiaire qui vous aide à
effectuer des recherches, n’est-ce pas déjà une
forme d’assistanat ? Certains disent que l’IA est
simplement un outil d’assistance… Est-ce que
cela signi昀椀e qu’il faudrait garder le contrôle
à 100 % d’un dossier pour préserver sa capacité
de raisonnement ?
Et c’est aussi un facteur d’identi昀椀cation sociale.
Le boulanger, le fromager, l’avocat : chacun son
rôle dans un tout social. L’accès à la profession
d’avocat se fait progressivement. Quand on con昀椀e
C’est une question délicate. Je disais tout à
l’heure qu’à mes débuts, on actualisait encore les
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