Lexmag Numéro 6 spécial été - Magazine - Page 35
Et vous sentez une différence entre les cabinets
et les directions juridiques ?
Fondateur de Day One et
spécialiste des évolutions
dans les directions juridiques,
Olivier Chaduteau porte un
regard stratégique sur la place
grandissante de l’IA dans les
pratiques du droit. À ses yeux,
l’enjeu ne réside pas tant dans
la technologie que dans la
manière de l’intégrer. Méthode,
organisation, posture: il appelle
les professionnels du droit à
repenser en profondeur leur
modèle, à dépasser le culte
du temps facturé et à réinvestir
la notion de valeur.
Oui, les directions juridiques ont souvent un coup
d’avance. Les cabinets, pour l’instant, en sont
encore à la phase marketing. Ils annoncent des
abonnements à Copilot, à Harvey, etc., mais sans
revoir l’organisation. Or, sans réorganisation, l’IA ne
sert pas à grand-chose. Acheter des licences sans
structurer l’usage, ça ne fonctionne pas.
Il faut revoir les processus en profondeur.
Ce que vous décrivez ressemble beaucoup à une
question de méthode, de mise en œuvre ?
Exactement. Il ne su昀케t pas de former un minimum
ou de montrer un outil. Il faut aller dans le détail:
quelle tâche l’humain garde, quelle tâche la
machine prend, où l’on gagne du temps, et que
fait-on de ce temps gagné ? Sinon, les utilisateurs
testent, puis arrêtent. Nous, on fait des POC
accompagnés, tâche par tâche, avec des retours
précis. C’est indispensable.
Un échange concret et
stimulant sur ce que pourrait
devenir un juriste augmenté…
non par les outils, mais par la
qualité de ses arbitrages.
Vous parlez souvent de la notion de « valeur »
plutôt que de « temps ».
Oui, c’est fondamental. Le modèle du temps
facturé, c’est le taylorisme du droit. Aujourd’hui,
la vraie question c’est : quelle valeur j’apporte ?
Je préfère dire à une directrice juridique “je vous
livre, avec l’aide de l’IA, en quatre jours une analyse
claire et utile” que “je mets cinq juniors pendant
trois semaines”. La valeur est dans la pertinence,
pas dans le temps passé. Ça doit donc devenir la
variable de structuration du prix.
Sandrine Jacquemin : Comment percevezvous l'impact de l'IA sur la transformation des
directions juridiques et du métier d'avocats ?
Olivier Chaduteau : Encore en devenir, parce qu’en
fait, ils n’ont dans leur grande majorité pas encore
pris le virage. On est encore dans une phase de
sensibilisation, compréhension, évangélisation.
Aujourd’hui, beaucoup ont compris que ça allait
bouleverser les business models, aussi bien ceux
des cabinets que ceux des directions juridiques. Il
s’agit de revoir en profondeur comment on produit
la prestation juridique, que ce soit en interne ou en
externe.
Et pour les stagiaires ou jeunes collaborateurs ?
L’IA ne risque-t-elle pas de les priver de certaines
tâches formatrices ?
Cette inquiétude est légitime, mais elle repose
sur une vision dépassée de la formation. On pense
encore qu’il faut passer cinq ans à faire des Due
Diligence pour apprendre. Ce n’est plus le cas.
35