Lexmag Numéro 6 spécial été - Magazine - Page 36
L’IA, loin de remplacer le juriste, va l’amener à se concentrer
" sur ce qu’il fait de mieux : penser, arbitrer, accompagner.
Il faut repenser l’apprentissage, le mentorat, le
coaching. L’IA peut même accélérer l’apprentissage
si on structure bien l’accompagnement.
Quid de la con昀椀dentialité des données ?
C’est souvent un faux débat. On entend dire “je
n’utilise pas Copilot parce que c’est Microsoft,
Trump, etc.”… mais on utilise tous Word, Outlook,
Teams, hébergés chez Microsoft ! Le problème, ce
n’est pas l’outil, c’est son paramétrage et l’utilisation
par l’humain comme toujours. Il existe des moyens
techniques pour bloquer la remontée de données
a昀椀n que vos données ne soient pas utlisées pour
entrainer l’IA et surtout qu’elles restent dans vos
instances en toute con昀椀dentialité. Il faut juste
les mettre en place. Il existe aussi des solutions
d’hébergement en Europe, en France ou encore des
clouds de con昀椀ance comme BLEU, la co-entreprise
créée par Orange et Cap Gemini.
Quelles seront selon vous les prochaines
(grandes) étapes après l'IA générative ?
On va vers ce qu’on appelle "l'agentic AI” : des
agents IA capables d’initiatives, avec un fort degré
d’autonomie. Et là, le rôle du juriste sera encore
plus stratégique. Il devra devenir un “solution
昀椀nder”, quelqu’un qui oriente, qui accompagne, qui
anticipe. Pas juste quelqu’un qui pointe les risques.
C’est un vrai changement de posture.
Vous évoquiez également la réorganisation
du travail et la redistribution des tâches.
Qu'entendez-vous par là ?
Ça veut dire qu’on ne peut plus fonctionner avec la
même pyramide. L’effet de levier est différent. J’ai
peut-être besoin de moins de juniors pour certaines
tâches, mais j’ai besoin de plus d’équipes ailleurs.
Il faut redé昀椀nir qui fait quoi, avec quelle valeur
ajoutée. C’est facile de dire à un stagiaire “va me
"
chercher les clauses de changement de contrôle
dans 10 000 contrats”. Demain, cette tâche sera
faite par l’IA. Donc on doit accompagner le stagiaire
sur d’autres terrains, plus riches, plus humains en
expliquant le raisonnement derrière le travail.
En somme, dès qu’on libère du temps, il faut savoir
quoi en faire.
Exactement. Sinon, c’est du temps perdu. Si vous ne
dites pas à quelqu’un “tu as gagné une demi-heure,
utilise-la pour faire ça”, il va simplement réadapter
sa vitesse de travail. On ne capitalise pas sur le gain.
C’est comme le sport: si on ne vous donne pas un
objectif clair, vous vous économisez. Il faut donner
du sens au gain de temps, sinon il se dilue.
Et sur la relation client, notamment les honoraires,
vous voyez évoluer les choses ?
Oui, c’est un vrai sujet. Les avocats n’osent pas
toujours dire qu’ils utilisent l’IA, par peur qu’on leur
demande de baisser leurs honoraires. Alors que
ce devrait être l’inverse : “Je vais plus vite, je suis
plus réactif, donc je t’apporte plus de valeur”. On
devrait pouvoir facturer différemment. Aujourd’hui,
le client préfère souvent une réponse rapide, 昀椀able,
même si elle a coûté moins d’heures. Ce qu’il paie,
c’est la valeur livrée, pas la durée du chantier.
Il faudrait donc sortir du modèle
« temps passé = prix ».
Oui, et ça, c’est un changement de business model.
On continue à appliquer un modèle du siècle
dernier. Pourtant, dans d’autres secteurs, on
accepte de payer pour la qualité ou la réactivité.
Dans le luxe, vous ne demandez pas combien
d’heures ont étés passées pour créer et fabriquer
une montre ou une une robe de gala. C’est pareil ici.
Il faut reconnecter le prix à la valeur perçue, pas
au chronomètre.
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