LexMag 7 - Magazine - Page 45
Ancienne avocate pénaliste
passée par « les deux versants »
— défense et accusation —,
Yael Mellul a choisi de consacrer
sa voix aux victimes
de violences conjugales.
Sandrine Jacquemin : Qu’est-ce qui vous a amenée,
au tout début, vers le droit ? Y avait-il une passion,
une étincelle, une 昀椀gure peut-être ?
Yael Mellul : J’ai toujours eu ce besoin de défendre
les plus vulnérables, les plus abîmés, de tendre la
main à celles et ceux qui n’avaient plus rien, qui
étaient abandonnés. C’est quelque chose que j’ai
ressenti depuis toute petite. Je me suis dirigée
naturellement vers cette voie. J’ai beaucoup pratiqué le pénal, à la fois du côté des victimes et des
mis en cause. Dans mon premier cabinet, j’étais sur
les deux terrains, et dans le second où j’étais collaboratrice, c’était beaucoup plus du côté des mis
en cause. C’était très enrichissant, parce que j’ai pu
voir comment les stratégies de défense se construisaient, travailler sur des dossiers de meurtriers,
aller les voir en prison, échanger avec eux.
De dossiers « à reconstruire »
à l’épuisement, une affaire charnière l’a poussée à changer de
champ : agir dans l’espace public, fonder « Femme et Libre »,
imposer la notion d’emprise
et porter un combat encore trop
invisible : le « suicide forcé ».
Médiatiser, oui, mais jamais
à la légère : travailler en amont,
protéger l’enquête, servir
l’intérêt des victimes.
Gendarme de réserve, elle dit
son respect pour parquetiers
et enquêteurs, tout en appelant à une volonté politique
claire. La réouverture, treize
ans après, de l’affaire Cantat
lui redonne de l’air : la preuve,
croit-elle, qu’avec ténacité, la
justice peut encore bouger.
Cela vous a donné une vision à 360 degrés de la
défense et de l’accusation…
Absolument. Ça m’a permis de comprendre les deux
versants de la justice.
Puis, vous vous êtes spécialisée dans la défense
des victimes de violences conjugales.
Oui, c’est devenu ma spécialité. Je ne défendais
que des victimes de violences conjugales, et toujours des situations d’une gravité exceptionnelle.
Souvent, les femmes arrivaient à mon cabinet en
dernier recours, avec des dossiers qui étaient déjà
un 昀椀asco total. Il fallait tout reconstruire. C’était
très di昀케cile, très lourd psychologiquement. À un
moment, je n’avais plus de vie en dehors de ça.
Cela vous occupait jour et nuit ?
Oui et pas seulement en termes de travail. C’était
devenu obsessionnel. Une affaire en particulier
m’a fait basculer : une petite 昀椀lle autiste est morte
après que sa garde a été transférée au père. J’étais
très proche de la maman, devenue ma cliente. Je
suis allée avec elle à la morgue. Là, j’ai dépassé
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