LexMag 7 - Magazine - Page 46
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La mort de Kristina, en 2010, m’a permis de parler pour la
première fois du suicide forcé. Treize ans après, le parquet de
Bordeaux a rouvert l’enquête. C’est un immense soulagement.
toutes mes limites. J’ai chuté psychologiquement.
J’ai compris que je ne pouvais plus continuer ainsi.
Est-ce ce qui vous a poussée à quitter la profession
d’avocate ?
Oui. La profession d’avocate faisait partie de mon
identité, c’était ma passion. Mais je ne pouvais
plus avancer ainsi. J’avais le sentiment que je
n’arrivais plus à faire bouger les choses seulement
par mon activité d’avocate. Je me sentais impuissante. Depuis 2010 déjà, je parlais de violences
psychologiques et d’emprise. Je me battais pour
la reconnaissance de ces notions, mais on ne
m’écoutait pas.
Vous avez fondé l’association « Femme et Libre »
il y a longtemps déjà.
Oui, il y a environ quinze ans. L’objet était de
défendre les femmes victimes de violences conjugales. Très vite, je me suis battue pour la reconnaissance des violences psychologiques. J’ai demandé
la création d’un délit spéci昀椀que, ce qui est devenu
réalité avec la loi de 2010. Mais à l’époque, aucune
association féministe ne m’a soutenue. J’étais seule.
Pour aller plus loin
Mon combat contre l'emprise
et le suicide forcé
Yael Mellul • 2021
Aucune ?
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Non. Leur argument était absurde : selon elles, les
agresseurs allaient s’en servir contre les victimes.
J’ai trouvé ça aberrant. Pourtant, lorsque j’ai été
entendue à l’Assemblée nationale, j’ai eu une écoute
attentive, des hommes comme des femmes.
Mais du côté des associations, j’étais isolée.
Vous avez aussi dû vous battre pour être intégrée
au Grenelle des violences conjugales.
Oui, absolument. J’ai dû envoyer des dizaines de
mails, hausser le ton sur les plateaux télé, dénoncer
mon exclusion. C’est comme ça que j’ai obtenu mon
groupe de travail, que j’ai copiloté ensuite avec la
haute fonctionnaire Hélène Furnon-Petrescu. Sans
cette bataille médiatique, je n’aurais rien obtenu.
Donc les médias ont été un levier indispensable
pour vous.
Oui. Si je n’avais pas eu leur soutien, je ne vois pas
comment j’aurais pu faire avancer mes combats.
Aujourd’hui encore, c’est par ce biais que j’arrive à
me faire entendre. Je travaille beaucoup en amont
avec les journalistes, je leur expose les situations,
je leur explique les faits. Mais je fais toujours très
attention : on ne dit pas tout, on ne balance pas
des éléments d’enquête. La médiatisation doit
être mûrement ré昀氀échie, toujours dans l’intérêt
des victimes.
Comment trouvez-vous l’équilibre entre s’exprimer
et se taire ?
Je ré昀氀échis toujours avant de médiatiser une
affaire. Je me demande si cela va servir ou
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