LexMag 7 - Magazine - Page 47
desservir les victimes. Je prends en compte la
perception des magistrats, des enquêteurs, l’état
d’avancement de la procédure. Il faut ménager les
susceptibilités de tous, agir intelligemment, et
ne jamais faire n’importe quoi. Ce qu’on dit a des
répercussions.
protéger la victime de son agresseur, il faut aussi la
protéger d’elle-même. Le risque suicidaire est deux
fois plus élevé que le risque de féminicide.
Que faudrait-il pour avancer plus vite ?
Une volonté politique claire. Je sais ce que ça
change : lors du Grenelle, en travaillant chaque jour
avec le cabinet de Marlène Schiappa, la loi a été
adoptée en huit mois. Mais une fois la loi passée,
tout m’a été retiré. Sans volonté politique,
on avance, mais beaucoup plus lentement.
Et comment percevez-vous la communication
institutionnelle, notamment celle des parquets ?
Les conférences de presse des procureurs sont
souvent très fournies. Il y a beaucoup d’informations qui sont données. Je trouve ça parfois excessif, et malgré tout j’ai une grande admiration pour
les parquetiers et pour les enquêteurs, surtout les
gendarmes avec qui j’ai beaucoup d’a昀케nités. Je
suis gendarme de réserve, je sais à quel point leur
travail est di昀케cile avec des moyens limités.
L’affaire Cantat est centrale pour vous.
Oui, c’est l’affaire de ma vie. La mort de Kristina,
en 2010, m’a permis de parler pour la première fois
du suicide forcé. Treize ans après, le parquet de
Bordeaux a rouvert l’enquête2. C’est un immense
soulagement. C’est une reconnaissance que justice doit être faite. Cela me redonne une bouffée
d’oxygène et con昀椀rme que j’ai eu raison de croire
en la justice.
Vous dites souvent que le suicide forcé est votre
combat.
Oui, c’est le combat de ma vie. Pourtant, il n’y a
jamais eu de véritable communication institutionnelle à ce sujet. Pas de circulaire, pas de formation
spéci昀椀que. Depuis 20201, aucun ministre ou secrétaire d’État n’a prononcé les mots « suicide forcé ».
C’est dramatique, car cette réalité touche deux
fois plus de victimes que le féminicide. Très peu
d’affaires sortent. Souvent, les familles découvrent
l’existence de cette infraction en lisant un article
ou en voyant une de mes interventions, et elles
viennent me voir.
Un dernier mot ?
Je crois que notre échange a bien re昀氀été mon
engagement. Ce combat est le combat de ma vie.
Et malgré les déceptions, je continue, parce que
je sais qu’il 昀椀nira par aboutir.
Qu’est-ce qui vous motive à continuer malgré les
obstacles ?
C’est viscéral. Parce que je l’ai vécu. Je sais ce que
ressentent ces victimes, je le sens profondément.
Je sais à quel point la souffrance peut mener à
envisager la mort comme seule issue. C’est pourquoi je milite aussi pour un changement de paradigme dans la prévention : il ne faut pas seulement
1. LOI n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à
protéger les victimes de violences conjugales (1)
L'article 222-33-2-1 du code pénal est complété
par un alinéa ainsi rédigé : « Les peines sont
portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000
€ d'amende lorsque le harcèlement a conduit la
victime à se suicider ou à tenter de se suicider. »
2. Axel Valard [A la une] Quinze ans après,
la justice rouvre le dossier sur la suicide de
Kristina Rady, l’ex-femme de Bertrand Cantat,
Le Quotidien, juillet 2025
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