LexMag 7 - Magazine - Page 51
qu’une vérité parmi d’autres, la « sanction judiciaire » qu’une sanction parmi d’autres. Pour certaines infractions — sexuelles notamment —, on
n’attend plus le procès : la personne est mise au
ban social, sa carrière brisée ; et même si la justice
innocente, il « en restera toujours quelque chose ».
On n’admet plus l’innocence : si acquitté, c’est que
c’était prescrit, que la justice a mal fait son travail,
qu’on aurait dû trouver des preuves.
d’autres, parce qu’on voyait bien l’écart entre les
écritures et les débats. Beaucoup d’ordonnances
de mise en accusation s’inspirent fortement des
réquisitoires : écouter la défense montre que
« ce n’est pas si évident ».
Je regrette que certains papiers soient très
à charge, au gré d’un « fond de l’air » répressif —
un populisme pénal prégnant. Certains journalistes
servent à « l’opinion » ce qu’ils croient qu’elle attend.
Mais « l’opinion », ça ne veut rien dire : il y a autant
d’opinions que de lecteurs. Et je pense que le public
est plus ouvert qu’on ne le croit au contradictoire.
Des exemples récents : des responsables politiques/culturels mis hors de cause peinent à retrouver leur place publique ; on invoque « l’image ».
Bref, on a l’impression que le procès arrive trop tard.
"
Regardez le procès Palmade : faits graves, il
a assumé ; mais j’ai lu beaucoup de papiers très
à charge, jouant l’émotion. Les mêmes confrères,
en aparté, reconnaissaient qu’ils exagéraient.
On sous-estime la curiosité du public pour l’argumentation, le droit, la procédure.
Ce qui compte, c’est ce
qui se dit à l’audience, les
preuves débattues contradictoirement — pas seulement ce qu’on lit dans une
OMA ou un réquisitoire.
La place de la victime a beaucoup évolué ?
Oui. Autrefois, elle était très mal traitée. Aujourd’hui,
elle occupe une place très importante — peut-être
trop. L’émotion est essentielle, mais on ne juge
pas quelqu’un uniquement à l’émotion : il faut des
preuves solides, débattues contradictoirement.
Le procès pénal est d’abord le procès de la personne
mise en cause. En France, la partie civile a une
place importante — pas comme dans les systèmes
anglo-saxons.
"
Ce que je demande qu’on fasse 昀椀gurer — c’est important pour moi —, c’est ceci : le procès judiciaire doit
rester la référence, avec ses garanties (défense,
accusation, parties civiles, juge indépendant, voies
de recours). La vérité absolue n’existe pas, mais la
vérité judiciaire doit s’imposer à un moment.
Et j’insiste : la présomption d’innocence est un
principe constitutionnel et conventionnel. En
procédure pénale, ce n’est pas à l’accusé de prouver
son innocence ; la charge de la preuve incombe à
l’accusation (parquet, parfois parties civiles).
On ne peut admettre entendre « je suis victime,
croyez-moi » et que la défense soit vécue comme
une violence supplémentaire. Dans une démocratie, on ne se contente pas d’accuser : il faut des
preuves, discutées et contredites. Et il y a aussi
le droit de ne pas être présenté comme coupable
tant qu’on n’a pas été dé昀椀nitivement condamné.
Comment écrivez-vous sans « couleur »
ou opinion ?
J’essaie d’arriver avec un œil neuf à l’audience.
Idéalement, un journaliste suit l’enquête, un autre
couvre l’audience. Ce qui compte, c’est ce qui se dit
à l’audience, les preuves débattues contradictoirement — pas seulement ce qu’on lit dans une OMA
ou un réquisitoire.
Exemple : l’affaire libyenne. J’écrivais peu pendant l’instruction. À l’audience, j’ai regardé ce qui
se disait. Mes papiers étaient moins à charge que
51