LexMag 7 - Magazine - Page 52
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Les gens n’attendent
pas qu’on fasse seulement vibrer leur corde
sensible : ils veulent
aussi comprendre le
droit, la procédure.
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Aujourd’hui, cette présomption est malmenée.
Percevez-vous une différence entre chaînes
d’info/plateaux et presse écrite ?
Oui. Les journalistes judiciaires de presse écrite ont
souvent une culture de la procédure, du contradictoire. À la télé ou sur les réseaux, certains n’ont pas
ce goût du contradictoire. Or penser contre soimême est passionnant.
Je donne parfois des cours : j’insiste sur la pédagogie, sur l’exigence d’apprendre quelque chose au
lecteur — sans se poser en sachant, mais en partageant ce qu’on a compris. Les gens n’attendent pas
qu’on fasse seulement vibrer leur corde sensible :
ils veulent aussi comprendre le droit, la procédure.
Une anecdote : dans une grande école de journalisme, journée d’étude sur « l’affaire Mazan », ;
les trois quarts de l’amphi se vident quand vient
le moment d’entendre « l’autre voix », celle de la
défense. Voir des futurs journalistes se pincer le nez
quand l’avocat parle, c’est inquiétant. On glisse vers
un militantisme de convictions personnelles sans
place en journalisme où on sous-estime l’intelligence des lecteurs.
Êtes-vous optimiste pour la presse ?
Pour l’économie de la presse : pas vraiment.
Payer pour s’informer, seuls 10 % environ le font
via un abonnement. Mais je suis optimiste sur
l’intérêt du public : les comptes rendus judiciaires
« marchent ». J’écris souvent trop long
(12 000 signes !) et c’est lu. On sous-estime
l’appétence pour des papiers analytiques, longs,
qui prennent le temps.
Avez-vous un rêve professionnel ?
Être « petite souris » dans un délibéré d’assises.
Voir comment s’in昀氀ue l’intime conviction, l’interaction entre les trois magistrats professionnels et
les jurés. On peut l’écrire en roman, oui — mais ce
serait de l’imagination.
Avez-vous une boussole personnelle, une conviction intime, qui guide votre façon d’écrire et de
couvrir les affaires judiciaires ?
Je pars plutôt du côté de la défense — c’est la présomption d’innocence. Je n’ai pas à en rougir.
Je demande qu’on me rapporte la preuve de la
culpabilité. Je préfère dix coupables dehors qu’un
innocent en prison. Je pars de l’idée qu’il est peutêtre innocent — jusqu’à preuve du contraire.
Quand j’étais jeune, le débat, c’était : une personne
condamnée, une fois sa peine purgée, doit retrouver
sa place. Aujourd’hui, on est loin de ça : « impardonnable », bannissement social, etc. Et pire : on
n’accepte plus qu’une personne soit innocente.
Si elle est innocentée, c’est « au béné昀椀ce du doute »,
« la justice a failli ». On veut des coupables. On veut
que la sombre prophétie d’Hanouna se réalise :
« pas besoin de procès ». Moi, je m’inscris en faux.
Rien ne vaut un bon procès, où les parties sont à
égalité et où les preuves sont librement débattues.
Et oui, je fais partie de ceux qui pensent qu’il y a une
« erreur de menuiserie » : le parquet devrait être à
la même hauteur que la défense (sourire).
Et puis, il y a aussi des affaires qui marquent une
vie professionnelle. Pour ma part, je pense à l’affaire Dils : je m’y suis beaucoup engagé à la 昀椀n des
années 90. Cela a abouti à la révision du procès
de ce jeune garçon et à son acquittement. C’est
l’une des affaires qui m’ont conforté dans cette
conviction intime : le doute doit toujours pro昀椀ter
à l’accusé.
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