LexMag 7 - Magazine - Page 54
Ancienne éducatrice pénitentiaire devenue plume de la
chronique des 昀氀agrants délits,
Dominique Simonnot n’a jamais
cessé de regarder la justice à
hauteur de femmes et d’hommes
— ceux qui tombent, ceux qui
jugent, ceux qui défendent.
Aujourd’hui contrôleure générale
des lieux de privation de liberté,
elle raconte ce qu’elle voit derrière les portes closes : l’urgence des moyens, la violence
de l’enfermement, la nécessité
de nommer. Mé昀椀ante envers le
sensationnalisme, attachée au
contradictoire, elle plaide une
exigence simple et radicale :
que la fraternité guide nos prisons autant que nos récits.
Femme exceptionnelle, elle a
accepté immédiatement de
nous parler, avec un franc-parler
entier, l’engagement chevillé au
corps et la 昀椀erté constante de
ses équipes, à lire pour prendre
de la hauteur.
nous avait conseillé d’aller assister aux audiences
de 昀氀agrants délits. J’y suis allée et j’ai eu un choc.
Tout ce qu’on apprenait en cours — sérénité de la
justice, régime de la preuve — n’existait pas dans la
réalité. Je voyais dé昀椀ler des pauvres types, jugés à
la va-vite. À l’époque, un président pouvait dire à un
prévenu : « Alors, comme ça, mon bon Mohamed,
quand vous dormez dans une voiture, vous arrachez les 昀椀ls de l’autoradio », c’est moins brutal
aujourd’hui. N’empêche, récemment encore, j’ai
vu un procureur s’en prendre à un pauvre alcoolo :
« Monsieur, ce n’est rien, Monsieur, c’est du vide ! »
C’est plutôt trash à entendre. Je ne pense pas
qu’on se permette ce genre d’attitude avec tous
les prévenus…
Ce poste d’éducatrice m’a permis d’accompagner
et de suivre des personnes qui s’en sortaient ou qui
retombaient. Quand je suis arrivée à « Libération » en
1991, je craignais que les journalistes me méprisent
un peu, puisque je n’étais pas du sérail. En fait, ils ont
été super. En 1998, il y a eu un trou dans une page,
j’avais une chronique prête et c’est parti.
Qu’est-ce qui vous animait dans cette chronique ?
Je voulais que chacun comprenne à quel point
cette justice des 昀氀agrants délits est injuste, expéditive. Je voulais la rendre vivante. Je ne crois pas
aux journalistes « objectifs », ça n’existe pas. On a
forcément un point de vue. Je pensais souvent qu’à
côté de la salle des comparutions immédiates, dans
celle des délits de presse, on jugeait des journalistes en décortiquant une ou deux phrases durant
des heures, pour 昀椀nir par une amende. Pour moi, les
昀氀agrants délits, c’est une justice de classe, voilà ce
que je voulais le montrer.
Sandrine Jacquemin : Pour commencer : qu’est-ce
qui vous a conduite vers le journalisme judiciaire ?
Était-ce un choix de départ ?
Et vos rapports avec les avocats et magistrats ?
J’ai classé mes souvenirs en deux catégories :
« j’ai honte de la justice » et « je n’ai pas honte de
la justice ». Et, souvent, j’ai eu honte. Mais il y a
aussi eu des moments formidables. J’ai pu nouer
Dominique Simonnot : Avant d’être journaliste,
j’ai été éducatrice pénitentiaire, ce qu’on appelle
aujourd’hui conseillère d’insertion et de probation.
J’avais suivi des études de droit et un professeur
54