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une forme de complicité, voire de l’amitié avec des
magistrats et avocats. Pour moi, le métier d’avocat est extraordinaire quand il est bien fait. Mais
parfois, aux « compas », ce n’était pas le cas. Et
d’autres fois, j’avais envie de me lever et d’applaudir un avocat ou un juge, tant ils étaient humains,
brillants et justes.
Aujourd’hui, vous êtes contrôleure générale des
lieux de privation de liberté. Qu’est-ce que cette
fonction a modi昀椀é dans votre rapport aux médias ?
J’ai eu de la chance : je connaissais déjà les journalistes judiciaires et ceux spécialisés sur les
prisons. Ils sont venus naturellement vers moi.
J’aime beaucoup les journalistes, même si parfois
ils m’agacent.
"
Les magistrats comme les
avocats donnent des infos
à la presse.
Chaque fois qu’on reçoit
une info, on est forcément
un peu manipulé. À nous
de véri昀椀er, recouper.
"
Quand je vois des reportages sensationnalistes
sur la prison — comme récemment, avec une soi-disant « révélation » sur huit cents détenus sortis cet
été, alors que des prisonniers sortent chaque jour
— ça m’exaspère.
Vous trouvez que la presse a changé ?
Je trouve qu’on parle beaucoup plus qu’avant, de la
prison et de l’enfermement, et j’en suis reconnaissante à mes anciens confrères. D’ailleurs, au CGLPL,
nous sommes en train d’enregistrer un podcast
qui sortira le 19 novembre, où l’en entendra ceux
qui sont enfermés et ceux qui les gardent ou les
soignent. J’en suis très 昀椀ère et j’espère qu’il aidera
à comprendre la réalité de la captivité et participera
à bouger les choses.
Le rôle du journaliste, c’est aussi de rendre la justice accessible au grand public. Est-ce que vous y
croyez ?
Comme je l’ai déjà dit, je ne crois pas à la neutralité. Il y a forcément un biais, mais cela peut tout
de même aider à comprendre. On peut sentir qu’un
journaliste apprécie ou non tel avocat ou tel magistrat, ça transparaît, mais ça n’empêche pas de saisir
l’essentiel de ce qui se passe. Moi, je me suis toujours 昀椀xé une limite : éviter le voyeurisme, ne jamais
entrer dans les détails sordides, surtout quand il
s’agit de délits ou de crimes sexuels. J’ai toujours
redouté que des pervers se nourrissent de ces descriptions. Ce qui serait abject.
Vous a-t-on reproché certains sujets ?
Je ne peux pas dire que mes sujets enchantaient
mes chefs. À « Libé », comme au « Canard », c’était
souvent : « Lâche-nous avec tes taulards », « fousnous la paix avec tes sans-papiers ». Un directeur
m’a même fait remarquer que la Une sur la prison :
« c’est la plus mauvaise vente de l’année ». Je rétorquais toujours que c’était notre honneur d’en parler
et en fait ça me faisait plutôt rire, même si j’enrageais. Et puis ça m’obligeait à me battre pour mes
papiers, ce qui m’a forgé une carapace qui me sert
bien aujourd’hui.
Vous avez déjà eu le sentiment d’être manipulée
par des avocats ou des magistrats ?
Bien sûr. Les magistrats comme les avocats
donnent des infos à la presse. Et chaque fois qu’on
reçoit une info, on est forcément un peu manipulé.
À nous de véri昀椀er, recouper. Il m’est arrivé de
prendre le contrepied de ce qu’on m’avait sou昀툀é,
parce que ça ne tenait pas.
Y a-t-il des articles que vous regrettez ?
Oui, sans doute. Mais ce qui me hante le plus, ce
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