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Vous pensez que la prison aggrave la violence ?
ne sont pas ceux que j’ai écrits, ce sont ceux que
je n’ai pas faits. Des personnes m’ont appelée, j’ai
commencé à enquêter, puis j’ai laissé tomber. Il y a
trois ou quatre histoires comme ça, et j’y repense
souvent. Ça me travaille encore.
Exactement. Je ne suis pas abolitionniste, il est
normal d’être sanctionné quand on commet une
infraction. Mais certainement pas dans ces conditions épouvantables. D’autant qu’il faut toujours
penser à l’après, car tous les détenus, à l’exception
de quelques-uns, sortent un jour. La prison doit
servir à quelque chose, or dans son état actuel
elle ne sert à rien. C’est un temps mort et violent.
Au CGLPL, nous avons créé un groupe de travail
sur la surpopulation carcérale, avec syndicats,
magistrats, avocats, associations. Nous avons
été entendus par la Commission des lois de l’Assemblée Nationale, dont le président s’est engagé
à présenter une proposition de loi de régulation
carcérale. Même si j’ai peu d’espoir, dans l’immédiat, je pense que l’idée se diffuse un peu partout.
Malheureusement, la prison n’est pas une priorité
politique, surtout en période électorale, sauf pour
sortir des phrases toutes faites.
On parle aujourd’hui de justice spectacle, avec les
réseaux sociaux, les séries… Qu’en pensez-vous ?
J’adore les séries judiciaires, même si parfois c’est
n’importe quoi. Pas toujours et « Engrenages »,
était formidable. Les séries coréennes judiciaires
sont vraiment étranges et chouettes. Mais la justice
昀椀lmée me rend très partagée. Une caméra change
tout : le juge, l’avocat, tout le monde joue. Sauf le
prévenu, qui reste perdu. Je crains qu’on bascule
vers une justice-spectacle à l’américaine. Quant aux
réseaux sociaux… Je déteste Twitter, mais pour
suivre un procès aujourd’hui, il n’y a pas mieux. C’est
en temps réel. Je me jette dessus, même si je peste.
Qu’est-ce que ce rôle de contrôleure a changé
pour vous ?
Qu’est-ce qui manque aujourd’hui ?
Je suis plus libre que jamais, même si je dois surveiller mon langage, parce que je parle comme une
charretière (rires). J’essaie, en tout cas… Il m’a été
très di昀케cile de réaliser que j’étais cheffe de plus
de soixante personnes, alors que je n’avais dirigé
qu’une équipe de huit à Libé, c’est très impressionnant. Je suis très 昀椀ère de mes collègues et de ce
que nous faisons ensemble. Et pour tout dire, je n’ai
jamais rien fait de mieux de ma vie.
Des surveillants, des psychiatres, tout en fait…
On estime qu’un détenu sur trois souffre de troubles
psychiques1. Il y a aussi ceux qui deviennent fous
en prison. Depuis 昀椀n 2024, cinq jeunes détenus ont
été tués par des codétenus malades. Pourtant, ils
avaient supplié, en vain, qu’on les change de cellule. Mais, faute de place, faute de temps ou d’autre
chose, ils n’ont pas été entendus… la surpopulation
c’est aussi cela et c’est monstrueux.
Concrètement, nous visitons sans prévenir : prisons, hôpitaux psychiatriques, centres de rétention. Nous restons plusieurs jours, nous observons,
puis nous rédigeons un rapport de visite avec des
recommandations. Je suis vraiment contente
d’avoir réduit nos délais de publication. Récemment,
à la prison pour mineurs de Marseille, j’ai vu cinquante-quatre gamins enfermés 23h/24 dans leur
cellule, sans rien faire. J’ai dû retenir mes larmes,
autant de colère que de tristesse.
Qu’est-ce qui vous tient à cœur ?
Sur nos frontons, on lit « Liberté, Égalité,
Fraternité ». Franchement, les deux premiers
me font rire jaune, mais je crois beaucoup à la
fraternité.
Et si ça n’avait pas été le journalisme ou le droit ?
Petite, je rêvais d’être journaliste et d’écrire des
polars. J’ai été journaliste… Peut-être qu’un jour
j’écrirai des polars qui se passent en prison.
1. Dans un rapport du 15 février 2023, l'OMS révèle que 32,8 %
des détenus européens souffrent de troubles de la santé mentale.
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