Lexmag Numéro 6 spécial été - Magazine - Page 62
de comprendre en quelques mots la complexité
et d’ouvrir des perspectives.
Vous enseignez depuis plus de vingt ans.
Qu’est-ce qui vous anime dans cette
transmission ?
D’abord, la mission de transmettre une culture
et un art ; une manière de ré昀氀échir, une manière
d’écrire, d’exprimer et de construire ces ré昀氀exions.
Une manière d’argumenter en fait. Ce que je donne
comme sujet à l’examen, ce sont presque toujours
des cas pratiques.
Et puis aussi, mais c’est plus sentimental,
une affection pour la jeunesse et pour l’espoir
dont on voudrait qu’elle soit porteuse. Et, plus
particulièrement, la joie de voir des esprits, des
caractères éclore. S’épanouir. Mais alors ça, je peux
l’éprouver parce que je suis dans un cadre un peu
spécial. Le cours d’amphithéâtre *ex cathedra* ne
permet pas tellement d’observer le développement
des esprits ou très peu, mais je m’occupe d’une
petite formation qui s’appelle le Collège de droit de
la Sorbonne, dans laquelle nous pouvons suivre de
manière individualisée au moins un certain nombre
d’étudiants. Et dans ce cadre, on peut les voir
évoluer et s’épanouir.
Justement à propos des amphithéâtres, vous
autorisez-vous à laisser place à l'improvisation et à
la mise en scène ?
Il y a des choses qui surgissent en cours
d’exposé. Mais l’amphithéâtre, le cours de droit en
amphithéâtre, ça a un côté très pièce de théâtre qui
s’autoriserait un brin d’improvisation. On part d’un
texte ré昀氀échi, structuré où les mots ont été pesés,
car il est très dangereux de partir de rien ; cela peut
grandement nuire à la qualité de la transmission.
Sur ce canevas, on peut improviser, digresser selon
les réactions de l’amphithéâtre et de l’actualité ou
selon ce qui nous est passé par la tête à un moment
et nous a semblé à-propos. J’ai toujours mes notes
de cours devant moi pour me contraindre au respect
de la structure mais il m’arrive de temps en temps de
prendre mon stylo et d’ajouter une observation, un
exemple qui me vient et m’a paru pertinent, ou pour
biffer quelque chose qui m’a paru mauvais.
Que souhaiteriez-vous que vos étudiants
retiennent de vous et pensez-vous qu’il serait
nécessaire de faire évoluer le régime actuel
d’enseignement du droit à L’Université ?
L’enseignement magistral *ex cathedra*, est quand
même très utile, car il vous contraint à faire passer
l’essentiel dans un temps restreint.
Comme je le dis à mes étudiants : les derniers
détails jurisprudentiels ou les petites modi昀椀cations
législatives sont secondaires. C’est l’écume des
choses, qu’ils auront de toute façon oubliée d’ici
quelques mois, étant ajouté que ces détails auront
peut-être changé quand, six ans plus tard, ils
auront débouché.
Aujourd’hui, notamment avec les outils
informatiques dont on dispose, chacun peut
retrouver ces données fugaces et en actualiser
la connaissance. Là n’est vraiment pas l’essentiel
pour la formation du juriste. Ce qui est essentiel,
et que le cours magistral permet de faire passer,
c’est l’architecture intellectuelle d’une matière.
Les grandes questions et les grands axes qui
la traversent, et qui sont comme des poutres
maîtresses d’une construction intellectuelle. On
peut avoir un législateur ou un juge qui change la
décoration de temps en temps, qui va modi昀椀er ici
tel détail comme on change un papier peint, mais
les murs maîtres restent, les poutres maîtresses
demeurent. C’est cela que l’étudiant doit acquérir :
l’intelligence d’une matière et la capacité à
s’orienter en son sein face à une question juridique.
Les outils informatiques actuels lui permettront
sans peine d’accéder aux détails du droit positif.
En revanche, la structure même du raisonnement
appartient à sa culture juridique. Et cela, ni
l’intelligence arti昀椀cielle, ni aucune base de données
ne saura le restituer.
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