Lexmag Numéro 6 spécial été - Magazine - Page 63
On vous associe souvent à une exigence
stylistique, presque à une discipline de la langue.
Le droit est-il aussi une affaire de style ?
Forcément et sous plusieurs angles. D’abord, le
juriste est un homme du langage, et d’un langage
tourné vers l’intelligence d’autrui. C’est évidemment
vrai de l’avocat qui s’adresse à celui qui doit
décider ; il lui faut le persuader de décider, et dans
un sens plutôt que dans l’autre. Mais c’est aussi
vrai pour le législateur, l’administrateur ou le juge,
qui doit sinon susciter l’adhésion du moins être en
mesure de se bien faire comprendre. Et la capacité
à trouver le mot juste permet d’avoir une pensée
claire et de la manifester. Construire et polir un
discours qui marque, qui fait impression, c’est
essentiel. Et ça, c’est le style. C’est le langage qui,
au soutien du fond de l’argumentation, va permettre
de produire cet effet de persuasion ou de
compréhension. Mais pour que le fond convainque,
il faut d’abord que la forme rende le fond accessible.
Victor Hugo disait : « La forme, c’est le fond qui
remonte à la surface. » Et ça dit bien l’importance
de la forme. Mais la forme n’est rien sans le fond.
Il y a une vraie interaction entre les deux choses.
Êtes-vous de ceux qui pensent qu’enseigner
le droit, c’est aussi enseigner le doute ?
C’est une question di昀케cile, parce que le mot
« doute » est équivoque. Je dirais « oui » pour le
doute méthodologique, c’est-à-dire le souci de
questionner les évidences. Ça, je pense que pour
un juriste, qu’il soit magistrat, avocat, ou
législateur, c’est très important.
Ce qui est essentiel,
" et que le cours
magistral permet
de faire passer,
c’est l’architecture
intellectuelle d’une
matière. Les grandes
questions et les
grands axes qui la
traversent, et qui
sont comme des
poutres maîtresses
d’une construction
intellectuelle
"
d’incertitude sur tout, dans le cœur et l’esprit des
étudiants. Leur dire qu’il faut être prêt à éprouver
toute thèse, qu’il faut songer à changer d’angle
pour examiner un problème, qu’il faut s’essayer à
remettre en question les évidences, ça oui. Mais ça
ne veut pas dire que la vérité n’existe pas. Elle est
une quête guidée et éprouvée par la raison.
Vous avez présidé la commission sur les contrats
spéciaux. Quelle a été votre grande di昀케culté au
cours de cette mission ?
En fait, la di昀케culté principale, ça a été le calendrier.
Parce que c’est une œuvre dont l’ampleur est
encore plus considérable que ce qu’on avait
préalablement estimé. Elle était de plus réalisée
dans les conditions habituelles de l’usage des
ressources académiques par les pouvoirs publics,
français du moins. C’est-à-dire que cette mission,
naturellement pro bono, était à accomplir avec les
moyens du bord, sans aucun allègement de nos
autres charges professionnelles. Réussir à travailler
à un rythme soutenable dans ces conditions,
En revanche, c’est très différent du doute que je
quali昀椀erais d’ontologique, pour désigner l’état de
celui qui doute de tout en permanence et 昀椀nit par
se trouver en incapacité à croire en quoi que ce
soit. Le doute de l’agnostique en quelque sorte.
Parce que celui qui est convaincu que rien n’est vrai,
qu’il n’y a ni bien ni mal, ni juste ni injuste, devient
complètement relativiste. Et ça, je pense qu’il n’est
pas heureux du tout d’imprimer une espèce d’état
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