Lexmag Numéro 6 spécial été - Magazine - Page 64
pour un programme aussi long, aussi large, dans
un temps qui reste raisonnable et mobilisant des
personnalités qui restaient très occupées par
ailleurs, ce n’était vraiment pas évident. Sur le fond
comme sur la forme, il n’y a en revanche pas eu de
di昀케cultés majeures. Il y a eu de très nombreux
points à discuter, parfois longuement, parfois
vivement, mais avec des gens qui avaient à la fois
bon esprit, les compétences, l’expérience et les
qualités de caractère qui permettaient d’avancer.
À quoi doit ressembler un bon texte de loi,
selon vous ?
J’enseigne à mes étudiants une règle d’or dès la
première année : les trois qualités de forme d’un
juriste, c’est d’être clair, concis et précis. Ils s’en
souviennent apparemment car quand les tout
jeunes licenciés du Collège de droit ont offert aux
membres du comité de direction des sweat-shirts
personnalisés aux couleurs de leur promotion,
ils avaient inscrit ces trois mots au dos du mien.
Et je pense qu’un bon texte de loi doit essayer de
respecter ces trois qualités. Sur le fond, le contenu
d’un texte varie selon les options politiques du
moment ; je ne me prononce donc pas là-dessus.
Mais pour qu’un texte soit bon, il faut qu’il soit
su昀케samment travaillé pour respecter les règles
d’or : clair, concis et précis. Cet oubli marque le
vice d’une législation d’urgence, mal ré昀氀échie
et mal exprimée ; verbeuse. C’était une formule
de Madame Chandernagor : « Quand le droit
bavarde, on ne l’écoute plus. » Or le droit ne cesse
de bavarder. Les textes se répètent les uns les
autres, doivent être souvent repris faute d’avoir été
correctement élaborés, faute de compétences, de
culture juridique et faute de volonté d’y consacrer
le temps nécessaire. Dans la civilisation politique
de l’urgence et de la communication, semble s’être
perdue la conscience même que la bonne rédaction
d’un texte de loi prend du temps.
Et vous pensez qu’il y a aujourd’hui une pression
plus forte, politique ou sociétale ?
Sociétale, je ne pense pas. Mais politique, oui.
Le politique est rentré, déjà depuis longtemps,
dans l’ère de la communication et de l’instantané,
stimulée par une information permanente, par une
actualité qui se déploie en temps réel. Dire qu’il
faut peut-être des moyens considérables, une
culture technique et du temps pour écrire un bon
texte, pour la plupart des politiques, ça n’est plus
supportable. Parce qu’ils doivent communiquer
hic et nunc.
Un parlementaire de tout premier plan, devant
qui on développait lors d’une réunion de groupe
une critique technique sur un texte d’intention
répressive, qu’on alertait sur les paradoxes
résultant de sa rédaction, sur le fait que
certaines dispositions allaient droit dans le mur
constitutionnel, que d’autres ne seraient pas
applicables en l’état a répondu : « Ecoutez, on n’est
pas là pour faire du droit, on est là pour faire de la
politique ! » Cela résume assez bien l’état d’esprit
qui peut parfois prévaloir : la priorité donnée à
l’intention politique, quitte à faire abstraction
de la réalité, y compris juridique.
Vous êtes également arbitre. Qu’est-ce qui vous
attire dans cette fonction ? L’indépendance ?
La précision ? Le dialogue ?
C’est la qualité des débats et des personnes qui,
notamment à l’international, animent cet univers.
C’est aussi le fait de mettre en œuvre le droit et
une exigence de justice, même si la responsabilité
qui s’y attache est pesante. Ce mélange propre
à l’arbitrage : profondeur, caractère complet
des débats, qualité élevée de la procédure, des
conseils, des experts comme des arbitres, et des
moyens mis en œuvre. Et puis aussi, de manière
plus périphérique peut-être, le voyage intellectuel
et humain que permet ce contentieux. On pénètre
le fonctionnement d’industries extrêmement
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