Numero 5 Lexmag - Flipbook - Page 65
arti昀椀cielle lorsqu’il rédige un devoir à la maison.
Cela pose une vraie question sur la valeur qu’on doit
accorder à ce genre de travail. Cela nous pousse
aussi à imaginer de nouvelles formes d’évaluation,
des exercices que l’IA ne pourrait pas encore
réaliser à la place des étudiants.
Je crois qu’il est important que les étudiants
comprennent que l’IA doit rester un outil, et en
aucun cas devenir un substitut à leur propre
ré昀氀exion. S’ils ne réalisent pas qu’en déléguant
entièrement leur devoir à une IA pour avoir une
bonne note, ils se mettent eux-mêmes en danger,
ils risquent de ne jamais développer leur propre
raisonnement. Autrement dit, ils deviendront
progressivement remplaçables par le même
robot qui aura toujours effectué leur travail à leur
place. Si l’humain n’apporte plus aucune valeur
ajoutée, l’IA 昀椀nira par nous remplacer, et ce n’est
évidemment pas un avenir souhaitable.
Dans ce monde de transformation numérique,
quelles compétences seront essentielles selon
vous pour les juristes de demain ?
L’intelligence arti昀椀cielle ne modi昀椀e pas les
qualités essentielles attendues d’un bon juriste.
C’est d’ailleurs quelque chose que je rappelle
régulièrement à mes étudiants dès leur
première année.
La première qualité indispensable, c’est la rigueur.
Je sais bien que ce terme n’est pas très attractif.
Pourtant, la rigueur est cruciale : un juriste ne peut
se permettre aucune approximation. On n’utilise
jamais un mot à la place d’un autre, on ne confond
jamais deux concepts. Quand on cite, on véri昀椀e ses
sources : que ce soit un auteur, un arrêt, un texte.
On s’assure que les citations ne sont pas sorties de
leur contexte ou tirées d’une édition obsolète, que
l’arrêt n’a pas été cassé ou rendu au visa d’un texte
abrogé. Bref, un juriste véri昀椀e absolument tout.
En revanche, l’intelligence arti昀椀cielle a aussi des
avantages considérables. Je le constate d’ailleurs
beaucoup plus nettement dans ma pratique
professionnelle en tant qu’avocat, expert ou arbitre.
J’ai eu l’occasion de tester certains outils d’IA qui
permettent réellement de gagner énormément
de temps. C’est exactement le but selon moi : non
pas remplacer le travail intellectuel, mais nous
libérer des tâches répétitives ou chronophages
pour nous concentrer sur ce qui est essentiel. Par
exemple, il existe aujourd’hui des logiciels capables
d’analyser en très peu de temps plus de 10 000
documents, d’en extraire les informations clés, d’en
reconstituer la chronologie, ou encore d’identi昀椀er
toutes les interactions pertinentes entre plusieurs
personnes. Là, il s’agit effectivement d’un gain de
temps considérable.
Mais selon moi, l’IA doit rester clairement un outil,
une aide pour mieux ré昀氀échir. Elle ne doit jamais
devenir un substitut à notre propre ré昀氀exion.
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La deuxième qualité essentielle est la curiosité.
À mon sens, un juriste ne se contente pas de ce
qu’il sait déjà. Il ne peut pas s’autoriser une forme
de paresse intellectuelle en se disant : « J’en sais
assez, je n’ai plus rien à apprendre ». Au contraire,
il doit constamment se demander s’il n’existe pas
un angle qu’il aurait négligé. Il doit continuer à se
cultiver, à lire, écouter des podcasts, s’intéresser
à d’autres disciplines comme la géopolitique, les
sciences sociales ou la littérature.
En昀椀n, la troisième qualité, c’est un amour profond
de la langue française. Nous, juristes, travaillons
essentiellement avec les mots. Ce sont les
mots que nous utilisons pour enseigner, pour
argumenter, pour analyser, critiquer, et convaincre
un jury, un juge ou une assemblée. C’est pour cela
que je dis toujours à mes étudiants : prenez soin de
votre langue, enrichissez-la en lisant. Peu importe
quoi, mais lisez.