Lexmag Numéro 6 spécial été - Magazine - Page 65
Pensez-vous qu’elle soit un obstacle ou une
alliée aux compétences humaines ?
variées, du développement de parcs éoliens
au lancement de satellites en passant par des
programmes de recherche et développement en
matière médicale ou le fonctionnement de moteurs
d’avion, de voiture ou de navire… On pénètre de
manière intime dans des milieux économiques
et techniques extrêmement variés, des cultures
nationales diverses. Intellectuellement, c’est un
voyage permanent.
Sur son application au métier de juriste, je dirais
que c’est plutôt une bonne chose. Elle va servir
l’intelligence humaine en lui permettant d’avoir un
champ de vision très large, très rapidement.
Est-ce que le droit civil français vous semble
toujours attractif ?
J’aurai une réponse nuancée. Pour ce qui concerne
le droit des opérations patrimoniales, il l’est sans
doute, et même assez certainement, quoiqu’il y ait
besoin de rénover les textes du Code, à commencer
par les contrats spéciaux et le droit des biens.
Le droit écrit a en effet cette vertu d’être plus
stable que le droit prétorien et plus aisément
appréhendable de l’extérieur.
Pour le reste, je me suis éloigné des questions
de famille alors que l’économie de la matière a
été profondément modi昀椀ée au cours des trente
dernières années. Notre droit de la famille est-il
aujourd’hui attractif ? Je ne saurais le dire et
réserve donc ma réponse sur ce point. Mais pour
ce qui est du droit civil patrimonial, du droit des
obligations en particulier, ma réponse est oui.
Parce que c’est un droit écrit, intelligible, fort de
règles générales et de principes. Les conceptions
fondamentales qui l’animent demeurent celles
qui en ont fait le succès. Il permet d’encadrer le
raisonnement et d’anticiper des solutions même
dans des situations inédites, ce que permettent
moins des droits principalement casuistiques
comme la « common law ». Je pense donc que le
droit civil français reste attractif.
Elle lui laisse la place de choix car ce que
l’intelligence arti昀椀cielle ne fera jamais, à mon avis,
c’est d’identi昀椀er les bonnes questions juridiques.
Comment prendre un dossier ? Quelles sont les
questions clés qui vont être déterminantes dans la
construction d’un raisonnement ? Je ne pense pas
que l’IA sera capable de le faire. Parmi les choses
qui m’avaient marqué dans mes enseignements
à Aix, il y avait cette formule de Christian Atias :
« En droit, ce qui est important, ce ne sont pas les
réponses, ce sont les questions. » Les questions ne
changent jamais. Les réponses varient au gré des
époques, des idéologies. Mais les questions, elles,
restent les mêmes.
Identi昀椀er les bonnes questions, construire
leur emboîtement, les différentes étapes du
raisonnement. Ça, l’intelligence humaine bien
formée le permet. Et l’intelligence arti昀椀cielle
permettra de nourrir ce raisonnement, cette
construction, de données plus 昀椀ables, plus
nombreuses, plus variées. Donc je pense que
c’est plutôt une aide.
Mais ce qui est sûr, c’est qu’un certain nombre
de tâches à faible valeur ajoutée, telles que les
recherches documentaires systématiques ou la
relecture de documents vont être automatisées.
Or, elles sont fréquentes dans les métiers
juridiques. Il en résultera probablement une
contraction des débouchés pour les étudiants.
En revanche, ceux qui seront très bien formés,
qui sauront poser les bonnes questions, trouver les
bons angles, construire les bons raisonnements,
L’intelligence arti昀椀cielle s’invite dans
l’enseignement, la justice, la rédaction.
65