Numero 5 Lexmag - Flipbook - Page 66
À mes yeux, enseigner, c’est avant tout éveiller. Ce qui compte
" vraiment, c’est d’allumer une petite 昀氀amme chez les étudiants,
leur donner le goût et l’amour du droit (...) et jouer un rôle,
même modeste, dans leur parcours.
"
Ces trois qualités réunies — rigueur, curiosité et
amour des mots — constituent, selon moi, le socle
indispensable pour devenir un bon juriste.
En tant qu’arbitre indépendant, vous intervenez
dans des litiges complexes en France et à
l’international. Qu’est-ce qui vous attire dans
l’arbitrage et comment percevez-vous son
évolution dans le paysage juridique ?
Ce qui me plaît dans l’arbitrage, c’est que c’est
une justice sur mesure et de très haut niveau.
On dispose vraiment du temps nécessaire pour
analyser en profondeur chaque aspect du dossier.
À l’inverse, si vous prenez certaines audiences
devant les juridictions traditionnelles, vous pouvez
voir des avocats qui ont passé deux ans et demi
à travailler sur une affaire, et à qui l’on accorde
seulement dix minutes pour plaider le jour J. C’est
extrêmement court, trop court, et particulièrement
frustrant pour les clients qui attendent une
décision depuis longtemps.
L’arbitrage offre une tout autre approche : les
parties choisissent leurs juges en fonction de
leur expertise spéci昀椀que. Ces juges prennent
réellement le temps de comprendre le litige
en détail. Les parties échangent plusieurs
mémoires très approfondis. On peut avoir des
audiences qui s’étalent sur deux, trois, quatre,
cinq jours complets, parfois même deux semaines
entières. On écoute des experts, on analyse
méthodiquement les arguments présentés par
chaque partie. En résumé, on prend réellement
le temps nécessaire à un travail approfondi et
qualitatif. C’est précisément ce que j’apprécie
dans l’arbitrage.
Vous avez écrit « Le contrat face à l’imprévu »,
un sujet qui fait écho aux périodes de crises
que nous traversons. Comment voyez-vous
l’évolution du droit des contrats face aux dé昀椀s
contemporains ?
Je ne prétends pas avoir le don de prédire l’avenir
du droit des contrats, mais pour rebondir sur
votre remarque… Lorsque j’ai réalisé ma thèse,
commencée en 2005 et soutenue en 2009, je m’étais
justement intéressé à la manière dont le droit des
contrats pouvait faire face à l’imprévu. Je m’étais
alors inspiré du droit des procédures collectives,
qui gère les di昀케cultés de manière progressive :
on cherche d’abord à concilier, à renégocier ou à
redresser la situation avant d’aller vers les solutions
extrêmes comme la liquidation judiciaire.
À mes yeux, c’est exactement cette approche
graduelle qu’il faudrait privilégier en droit des
contrats. Quand survient un événement imprévu qui
bouleverse profondément l’équilibre du contrat, il
est préférable de favoriser une démarche préventive
axée sur la renégociation plutôt que d’attendre un
blocage complet, empêchant dé昀椀nitivement le
débiteur d’exécuter ses obligations.
À l’époque de mes recherches, une partie des
juristes (qu’ils soient auteurs ou praticiens)
considéraient la théorie de l’imprévision comme
dangereuse, voire menaçante pour la sécurité
contractuelle. Je me souviens très bien qu’un
professeur, pendant un entraînement à l’agrégation,
m’avait dit : « vous devriez parler doucement
de votre sujet, c’est vraiment dangereux, votre
théorie ». La simple idée que l’imprévu puisse
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