Numero 5 Lexmag - Flipbook - Page 67
entraîner une adaptation du contrat n’était
absolument pas acceptée à ce moment-là.
construit, sa lisibilité et sa prévisibilité. Le caractère
prétorien et parfois imprévisible de certaines
décisions peut inquiéter les parties internationales,
qui préfèrent nettement un cadre juridique clair et
facilement anticipable.
Puis, il y a eu la réforme de 2016, qui a 昀椀nalement
consacré la théorie de l’imprévision à l’article 1195
du Code civil. À ce moment-là, beaucoup de nos
clients ont immédiatement cherché à exclure cette
possibilité dans leurs contrats. Des directeurs
juridiques m’ont dit en substance : « L’imprévision,
c’est n’importe quoi. C’est juste une excuse pour les
débiteurs de mauvaise foi qui veulent se soustraire
à leurs obligations. Quand on s’engage sur un prix,
on doit tenir sa parole, point 昀椀nal. »
Y a-t-il une anecdote amusante ou marquante de
vos années d’études qui vous a particulièrement
marqué ?
Je ne sais pas si c’est amusant… Mais j’ai un
souvenir marquant.
J’étais en deuxième ou troisième année de thèse
quand j’ai remis à mon directeur la première partie
de mon travail. Il n’a pas réagi immédiatement.
Comme tout doctorant qui se respecte, j’ai
commencé à m’inquiéter :
Et puis, des crises majeures sont survenues :
d’abord la pandémie de Covid, puis la guerre en
Ukraine. On a alors réalisé que non, ce n’était pas
de la mauvaise foi que de dire : « Je ne peux pas
absorber tout seul une hausse imprévisible de
500 % de mes coûts énergétiques ». Accepter
une certaine 昀氀exibilité dans des circonstances
exceptionnelles ne détruit pas nécessairement
l’essence même du contrat.
« Pourquoi ne répond-il pas ? Est-ce qu’il n’a pas
eu le temps de lire ? Ou pire, est-ce que mon travail
est mauvais ? »
Finalement, il 昀椀nit par me convoquer dans
son bureau. Il me reçoit, me regarde, et me dit
simplement, en une seule phrase claire et directe :
Je reste convaincu de la pertinence de cette
approche. Le droit des contrats doit pouvoir
intégrer une certaine souplesse dans les
situations exceptionnelles. Attention toutefois,
il ne s’agit pas de permettre à quelqu’un de revenir
facilement sur ses engagements au moindre
problème. Je ne suis pas favorable à ce que les
juges puissent systématiquement réviser les
contrats. Mais je suis persuadé qu’un minimum
de 昀氀exibilité est indispensable.
« C’est deux fois trop long. Vous allez
recommencer, mais en deux cent pages. » (Rires)
Ça m’a vraiment marqué. Grâce à lui, j’ai appris à
être concis, à domestiquer ma plume.
Si vous n’aviez pas fait du droit, quelle autre
carrière auriez-vous envisagée ?
Avec le recul, je dirais médecin. J’adore mon
métier, je ne voudrais pas en changer. Mais si
je devais réinventer mon parcours autrement,
je pense que médecin est l’un des plus beaux
métiers au monde.
D’ailleurs, si on regarde ce qui se passe en arbitrage
international, on s’aperçoit que le droit français
n’est pas souvent privilégié. On peut légitimement
se demander pourquoi les parties choisissent
statistiquement plus souvent le droit suisse ou celui
de l’État de New York plutôt que le nôtre. Est-ce
à dire que le droit français est mauvais ? Je ne le
pense pas. Mais cela montre qu’il y a une ré昀氀exion
importante à mener sur la façon dont notre droit est
Nous, les avocats, défendons des causes
essentielles, c’est vrai. Mais nous ne sauvons pas
de vies. Les médecins, eux, sauvent véritablement
des vies, et je trouve ça admirable.
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