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Les médias
ont soif
« Vous savez, docteur, je n’ai pas besoin de
divan, je suis déjà allongé tous les soirs sur
les manchettes des journaux. C’est encore
un bon coussin, le papier. Ça gratte un peu,
certes, mais c’est chaud comme la gloire.
Et j’avoue que j’aime bien la chaleur, même
quand elle sent un peu trop le brûlé.
Car, en ce moment, je défends une femme,
vous comprenez. Une femme qui n’a pas eu
d’autre choix que de retourner la violence
comme on retourne une arme pour survivre.
Son mari lui avait fait de sa vie un bagne
domestique, mais sans chaînes apparentes.
Les juges aiment les chaînes, ça rassure, ça
se pèse, ça se photographie et ça ressort
bien dans une côte de dossier d’instruction.
La cruauté mentale, en revanche, ça ressort
moins facilement.
Alors j’ai sorti mes projecteurs : les médias.
Vous instrumentalisez la presse, murmurez-vous dans votre barbe viennoise. Oui,
mais la justice aussi instrumentalise. Elle
joue à la balance, mais toujours sur une
scène. Alors je ne fais que changer le décor.
C’est du théâtre, docteur, et la société
n’aime pas les huis clos. Le quatrième
pouvoir, c’est comme un spectateur qui paie
sa place, mais qui veut aussi choisir la 昀椀n
de la pièce. Montesquieu n’avait pas prévu
que son trio -exécutif, législatif, judiciairese verrait imposer un cousin un peu trop
bavard, journaliste de métier, qui commente
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même quand on ne lui demande rien.
Vous savez, j’en ai parlé au Président de la
cour d’assises. Il m’a regardé comme si j’avais
craché sur le Code pénal. « Maître, vous plaidez devant nous, pas devant la presse ». Mais
moi, je sais qu’il se trompe. Je plaide devant
tout le monde. Devant eux, devant elle, devant
les caméras, devant la mémoire collective
qui voudra se souvenir que cette femme
n’était pas qu’un dossier et avait une histoire
singulière à raconter. Alors oui, je fais entrer
les micros dans la salle comme d’autres font
entrer des bougies dans une église : pour
qu’on y voie un peu plus clair.
Et ça crée des di昀케cultés relationnelles,
bien sûr. Avec le Président surtout. Il a l’impression que je lui vole son rôle de metteur
en scène, que je brouille les rideaux rouges
de sa justice solennelle avec les 昀氀ashs des
photographes. Mais je ne fais que défendre.
Défendre au sens large : la femme, l’idée de
justice, et même la société qui ne veut plus
tolérer que la violence conjugale soit invisible.
Alors vous culpabilisez ? me demandez-vous.
Et bien non, docteur. Pas vraiment. Mais
parfois, le soir, j’ai une crampe au ventre.
Comme si j’avais avalé trop d’encre de
presse. Et je me demande si je suis avocat
ou impresario. Mais au fond, c’est la même
chose, non ? Il faut savoir mettre une existence, celle de ma cliente, la véritable victime de ce procès, en lumière.