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Sandrine Jacquemin : Qu’est-ce qui vous a amené
au droit ? Une vocation ? Un déclic ?
Pour moi, le droit,
" c’était avant tout
un langage que je
souhaitais maîtriser.
Un langage précis,
puissant, utile, mais
qui n’est pas le lieu de
la vérité ni celui de la
beauté.
Laurent Aynès : Je viens d’une famille de juristes :
mon père, qui avait été le plus jeune docteur en
droit l’année de la soutenance de sa thèse, était
magistrat, l’un de mes oncles aussi. Il y avait eu
aussi des notaires, des juges… Une véritable tradition juridique du côté paternel, mais sans passion
particulière pour le droit en tant que science. On
n’était pas juriste par affection intellectuelle envers
le droit, mais plutôt parce qu’il permettait l’exercice
d’une fonction publique. On avait une vocation de
magistrat, donc « on faisait son droit ».
"
Du côté de ma mère, la voie était plutôt littéraire.
Ma mère était professeur d’histoire et géographie.
Je ne suis venu que tardivement au droit.
donné envie de faire du droit.
Je n’ai pas suivi la première année : j’en étais dispensé, ayant déjà d’autres diplômes universitaires.
J’ai donc fait la deuxième, la troisième et la quatrième année de droit, tout en continuant à enseigner les lettres.
Vous avez commencé par des études de lettres ?
Oui. Dans ma famille, quand on avait de bons résultats scolaires et qu’on ne savait pas encore vers
quoi se diriger, on commençait par hypokhâgne. J’y
ai pris goût, j’ai poursuivi mes études de lettres, au
point de devenir professeur de français et de latin.
Qu’est-ce qui vous plaît malgré tout dans le droit ?
Cette double formation créait une vraie complémentarité, oui. Mais il faut reconnaître qu’une page
de droit n’offre pas la même profondeur de regard
qu’un poème de Baudelaire, une page de Stendhal
ou de Bernanos. Pour moi, le droit, c’était avant tout
un langage que je souhaitais maîtriser. Un langage
précis, puissant, utile, mais qui n’est pas le lieu de la
vérité ni celui de la beauté. Ma formation littéraire
m’a cependant beaucoup servi, en particulier par
l’importance attachée au mot : sa résonance, sa
couleur, son histoire, ses harmoniques…
Le droit est venu plus tard. J’ai toujours aimé mener
plusieurs choses de front : pendant mes études de
lettres, j’apprenais aussi le chinois à l’Institut des
Langues orientales. Mais avec le temps, j’ai réalisé
que tout cela, aussi passionnant soit-il, ne débouchait pas sur une activité en prise sur la réalité.
J’ai adoré ces études, mais il manquait quelque
chose.
Alors comment est venu le droit ?
J’avais des amis qui, régulièrement, me disaient :
« Tu devrais venir en droit ». Un jour, par curiosité,
je suis allé assister à un cours. C’était à l’université
de Reims, un cours de Jacques Normand. Et là… j’ai
été impressionné. Il s’agissait, je crois, d’un cours
de droit des obligations. Il enseignait sans aucune
note, avec une vivacité et une intelligence remarquables. C’est ce moment-là qui m’a véritablement
La transmission semble aussi centrale dans votre
parcours.
Oui, très tôt. J’étais professeur de lettres à 18 ans —
j’ai passé mon bac assez jeune. Et j’ai toujours aimé
ça. Je dois dire que ma mère était déjà une pédagogue passionnée, à la curiosité intrépide. En tout
cas, l’enseignement a été l’axe de ma vie.
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