LexMag 7 - Magazine - Page 78
On commence sa
" carrière inquiet de la
matière à traiter, du
programme à couvrir.
Puis progressivement,
on se libère, on
devient véritablement
professeur. Il y a
bien sûr le corpus,
mais plus encore,
il y a l’engagement
personnel : ce qui
est vraiment utile
à l’étudiant, c’est de
voir le professeur
raisonner à découvert.
Et je m’y adonne encore, même si je n’enseigne plus
à l’université. Faire comprendre, arriver à un degré
de profondeur, de cohérence, de précision où tout
s’éclaire, tout se simpli昀椀e. Et le transmettre.
Et c’est possible, même dans un amphithéâtre de
600 personnes ?
Oui. Paradoxalement, ce n’est pas 600 personnes.
C’est 600 fois une personne. Et la véritable transmission se fait de personne à personne. On commence sa carrière inquiet de la matière à traiter,
du programme à couvrir. Puis progressivement,
on se libère, on devient véritablement professeur.
Il y a bien sûr le corpus, mais plus encore, il y a l’engagement personnel : ce qui est vraiment utile
à l’étudiant, c’est de voir le professeur raisonner
à découvert.
Je me souviens de véritables dialogues, même avec
un amphi, à condition d’être mobile, de se promener, d’être présent physiquement. On sent quand
quelque chose est compris. Et là, c’est un point
de départ. On sait que ça ira plus loin.
"
Avez-vous été in昀氀uencé par d’autres 昀椀gures ?
Oui, mon père. Pétri de culture grecque et latine,
il allait toujours au simple, à l’essentiel. Il avait
traversé la guerre, longtemps en captivité. Ça l’avait
dépouillé de tout ce qui est affèterie, snobisme,
mondanité. Jamais d’approximation ; une passion
pour le mot exact – il en inventait en cas de besoin.
Et puis il y a eu d’autres 昀椀gures. Deux jésuites de
mon collège, Charles de Sèze et André Valeton,
qui m’ont enseigné la liberté et l’apprentissage par
le goût. Un professeur de lettres, qui aimait à se
faire surnommer Titus, à qui je dois la passion des
lettres ; ma professeure de philo en hypokhâgne,
jeune normalienne formée par Althusser, marxiste
sincère, qui m’a ouvert à un horizon intellectuel
jusque-là inconnu, et tant d’autres encore…
Vous avez coécrit plusieurs ouvrages de référence
avec Philippe Malaurie. Vous étiez jeune, comment
l’opportunité s’est-elle présentée ?
Philippe Malaurie était mon professeur de DES.
À la 昀椀n de l’année, il m’a proposé de faire une thèse.
J’étais encore professeur dans le secondaire, marié,
il fallait concilier tout cela. On a cherché un sujet,
et c’est devenu ma thèse.
Il n’était pas du tout directif. Il avait un jugement
cinglant, mais il m’a laissé une liberté totale. Puis
j’ai été agrégé en 1982.
Et en 1986, il m’a dit : « Je voudrais écrire un livre de
droit des obligations, est-ce que vous voulez l’écrire
avec moi ? » J’ai accepté, téméraire. Après Les obligations, on a coécrit Les sûretés, puis Les contrats
spéciaux, Les biens, etc. C’était une personnalité
di昀케cile, d’une originalité folle, d’une intelligence
exceptionnelle, avec toujours mille projets en tête et
le courage de l’engagement ; et deux qualités rares :
l’humilité intellectuelle et l’obsession de la clarté, qui
ont rendu possible cette longue collaboration.
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