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Vous partagiez une vision culturelle du droit ?
Oui, pour lui comme pour moi, le droit n’était qu’un
élément de la culture. La sienne était immense :
littérature, opéra, peinture, religion… On corrigeait
des épreuves éditoriales toute la journée et puis
à 18 h, il pouvait subitement dire « Allez, je vais
à l’Opéra. », sans aucune réservation. Et il trouvait
toujours une place. Il m’accueillait parfois le matin
en me disant : « En relisant Shakespeare cette nuit,
j’ai trouvé … »
seraient disproportionnées au regard de principes
fondamentaux. Il y a donc une crise de l’autorité
puisque même la loi peut être écartée par le juge
chargé de l’appliquer. La règle de droit risque de
devenir affaire d’opinion.
La doctrine réagit… mais de manière décalée.
La règle de droit s’insère toujours dans un
contexte culturel. De là les nombreuses références littéraires dans nos livres. Nous avions la
même détestation de la technique juridique pure,
même parfaitement maîtrisée. La règle de droit
a une origine et une 昀椀n qui ne se trouvent pas en
elle-même. Elle n’est pas un en-soi.
Elle est plus savante et bavarde qu’avant, grâce
à la facilité d’accès à l’information, mais moins
visionnaire. Nous sommes plongés dans une crise
de la vision. Le monde est instable, imprévisible,
les crises succèdent aux crises. Alors la doctrine
se réfugie dans la technique. Mais elle ne joue plus
assez son rôle d’inspiration. Elle manque de grandes
voix, pas forcément pour exprimer des convictions,
mais pour donner une cohérence au système
juridique, laquelle ne peut provenir que de
valeurs métajuridiques.
En ce sens, vous avez même développé une
méthode d’enseignement « Aynès- Malaurie » ?
Et l’arbitrage international, comment y êtes-vous
venu ?
Oui. Dans nos ouvrages, on ne cite jamais un arrêt
sans donner le passage exact. Il faut se mé昀椀er des
commentaires de seconde main. Aller au texte.
C’est ce que je faisais en séminaire de doctorat.
On pouvait passer trois heures sur un seul arrêt.
Pas à le commenter, mais à le lire. Il faut faire
résonner les mots. Chercher la « pointe » de l’arrêt.
Souvent, c’est un mot, un seul, qui fait basculer
la décision et lui donne sens.
Par hasard, comme souvent. Quelqu’un vous propose une mission. Puis une autre. Et voilà. Ce qui
me plaît, c’est que l’arbitre prononce une parole qui
l’engage. Il tranche. C’est essentiel, socialement.
À ce titre, comment voyez-vous l’évolution de la
doctrine ?
Nous traversons une période de crise. Une crise
qui remet en cause les sources et par conséquent
la cohérence et la solidité de l’édi昀椀ce juridique :
la loi, les codes, la jurisprudence… On voit émerger
la supra-légalité interne avec l’extension du contrôle
de constitutionnalité, et internationale, en particulier européenne, etc.
Mais ce n’est pas un juge chargé d’appliquer une loi,
mais de trancher un litige. On ne juge pas au nom
de l’État. On tranche en fonction de ce que les parties ont voulu et de ce que l’on juge juste, au sens,
au moins, de « justesse ». Et surtout, on peut aller
au fond des choses, avec une exigence intellectuelle rare. Même la partie qui perd comprend - si la
sentence est juste - pourquoi elle a perdu.
Il y a aussi le travail collectif. Trois arbitres,
à la recherche de la justesse. Quand ça marche,
c’est formidable.
Quels sont les freins au développement de
l’arbitrage ?
Le coût, la durée des procédures et leur caractère
non dé昀椀nitif, ces trois facteurs combinés. Les
avocats, les experts, les arbitres, les institutions
La Cour de cassation écarte parfois des lois claires,
parce que leurs conséquences dans une affaire
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