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Une fracture appelée à s’accentuer, selon la
stratégie de chacun ?
Probablement. Et souvenons-nous qu’il y a un avant
et un après 2000 : avant Internet, la notion même
de base en ligne était balbutiante ; en 2000, il y avait
encore très peu de sites réellement utiles. Depuis,
les bases se sont détachées de la logique papier ;
elles sont devenues des outils à part entière —
et ça change tout dans la façon de travailler.
On est donc passé d’un simple outil de consultation
à un vrai assistant stratégique : aide à la décision,
comparaison de cas similaires, personnalisation
du dossier. Vous con昀椀rmez ?
Oui. C’est la « granularité » dont vous parliez :
on peut descendre très 昀椀nement dans la donnée.
Tout le monde ne l’utilise pas encore — il reste une
vieille école —, mais la logique a changé. Avant,
on savait qu’il fallait aller chercher un bout de
réponse dans une revue, un autre dans un code, un
troisième dans une encyclopédie. Aujourd’hui, on
ouvre une base et l’on s’attend à trouver, au même
endroit, le texte, la jurisprudence et la doctrine,
puis à rebondir vers des modèles ou des analyses
pour challenger le dossier.
Le risque, et c’est là que le documentaliste
demeure indispensable, est de croire qu’une
seule base su昀케t. On doit continuer à véri昀椀er trois
sources : texte, doctrine, jurisprudence. En doctrine, confronter plusieurs opinions reste crucial ;
et, même depuis l’open data, tout le monde n’a
pas exactement le même corpus jurisprudentiel,
surtout pour les juridictions qui n’ont pas encore
tout ouvert. Bref, même si l’outil paraît global, la
véri昀椀cation croisée reste la règle.
Avec toujours plus de données et de fonctionnalités, quelle place l’humain garde-t-il ?
L’humain a encore trois ou quatre gros atouts
dans sa manche. D’abord, rien ne se passe sans
une intention humaine. L’algorithme, la base, ne
s’activent que si quelqu’un ouvre la plateforme et
décide d’y chercher quelque chose. Sans cette première volonté, il ne se passe rien.
Ensuite, l’humain choisit la base, dé昀椀nit la
recherche, enrichit l’algorithme. L’IA est un terme
galvaudé : ce sont des machines apprenantes, du
deep learning. C’est un excellent coup marketing
de parler « d’intelligence arti昀椀cielle », mais l’intelligence, la vraie, c’est résoudre un problème inconnu.
Asseyez-vous devant votre ordinateur, dites-lui
« fais mon travail de la journée » : il ne se passera
rien. Soumettez-lui un problème qui n’est pas dans
ses algorithmes : il bloque.
Donc, premier rôle de l’humain : déclencher et
orienter la recherche. Deuxième rôle : nourrir la
machine. Les algorithmes s’enrichissent grâce à
nos requêtes ; sans notre apport, ils n’évoluent pas.
Troisième rôle : toutes les qualités que la machine
n’a pas — mémoire structurée, expérience, sensibilité, choix des concepts. Avec la « googlisation » et
maintenant les prompts oraux, on voit bien que, si la
question est 昀氀oue, la réponse est 昀氀oue.
En昀椀n, quatrième rôle : l’exploitation des résultats.
La machine trie, in昀氀uence, fait gagner du temps ;
mais, in 昀椀ne, c’est l’utilisateur qui clique, lit, sélectionne. L’expertise humaine reste mille fois supérieure à toute technologie.
Et la granularité des contenus ? Comment rendre
le droit lisible sans le simpli昀椀er à outrance ? Mais
est-ce dangereux de simpli昀椀er ainsi ?
Il faut d’abord voir la tendance générale : la vulgarisation touche tous les domaines. Les réseaux sociaux
en sont le moteur ; on en voit même les effets
comiques — Teams lance des ballons dès qu’on tape
certains mots ! Je le constate avec mon 昀椀ls de vingt
ans : pour s’informer, il regarde un tutoriel de trois
minutes. Vous me disiez que votre 昀椀lle de dix-sept
ans fait pareil. Simpli昀椀er le droit va donc dans le sens
de ce qu’attend désormais le public.
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