LexMag 7 - Magazine - Page 99
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Pour la discovery de milliers de pages dans des
conventions internationales, pour véri昀椀er ou
comparer, ces outils sont précieux. Mais ils ne
prennent pas de décision.
Les risques de substitution sont réels…
Oui. Regardez l’affaire Onclusive1 (ex-Kantar) :
deux cent dix-sept personnes licenciées parce
qu’on a con昀椀é les synthèses à l’IA. D’abord les
documentalistes, puis les juristes, puis… les juges ?
Même chose au service du courrier de l’Élysée,
passé de cinquante-sept à vingt-sept personnes
grâce à Mistral2. C’est une réalité.
Comment défendre l’expertise humaine face
à cela ?
Avec les jeunes générations, il faut démontrer
concrètement les limites des machines. L’IA ne
peut pas traiter des textes de l’Ancien Régime ou
du xixe siècle : ils ne sont pas normés. Là, l’humain
reste indispensable.
J’utilise l’IA pour les traductions, mais pas seulement entre langues : aussi entre niveaux de langue.
J’ai fait traduire des textes juridiques en langage
d’enfant de huit ans, pour un site pédagogique.
C’est précieux, mais ça demande toujours une
relecture humaine.
Autre exemple : les outils de compilation et d’antiplagiat. Je les utilise pour former mes étudiants
au contrôle qualité des références. Comme dans
les revues américaines, je leur apprends à véri昀椀er,
à citer, normaliser. C’est là que l’expertise humaine
prend tout son sens.
Comment rendre le droit lisible sans le simpli昀椀er
à outrance ?
En privilégiant la granularité et les phrases simples.
J’ai appris à écrire sans négation, sans voie passive,
avec des phrases courtes. La chasse aux adverbes
était un sport dans les notes au SGG !
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Nous avons toujours
anticipé les changements.
On a prédit la mort des
documentalistes avec
Internet, et nous sommes
toujours là. [...] C'est un
métier qui sait
se réinventer.
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Cette clarté, c’est aussi une question de normalisation technique : identi昀椀cation des documents
(ELI pour la législation, ECLI pour la jurisprudence),
structuration XML, ontologies (RDF). Ces normes
sont essentielles pour rendre les données exploitables et interopérables.
Quelle est votre position sur l’IA générative ?
Mé昀椀ance constructive. J’utilise, par exemple LUMO,
une IA souveraine suisse. Elle promet la con昀椀dentialité, fonctionne hors ligne, et ses synthèses sont
de qualité. J’ai testé avec ma question piège habituelle : « Peut-on vendre de la jurisprudence trouvée
gratuitement sur Internet ? » Les anciennes IA hallucinaient ; LUMO, lui, m’a donné une bonne réponse
et une très pertinente grille d’aide à l’anonymisation,
alors que je ne le lui avais pas demandé explicitement. Voilà une approche intéressante.
Quelles conditions pour que l’IA enrichisse la
recherche juridique ?
Respecter la propriété intellectuelle et la sécurité
juridique. Beaucoup d’IA se nourrissent de contenus
qui ne leur appartiennent pas, parfois sans citer
les sources. J’ai des amis qui ont écrit des articles
pointus dont les idées se retrouvent intégrées dans
des réponses d’IA sans leur consentement. C’est un
risque majeur.