Numero 4 Lexmag - Magazine - Page 58
de prendre la décision et de la motiver. Une telle perspective montre que les
fonctions d’assistance que l’on peut attendre des IA se sont considérablement
multipliées en quelques années. Leur usage tend, aujourd’hui, à supplanter les
premiers outils dédiés à la quantification de l’aléa judiciaire.
II. Le juriste augmenté : quanti昀椀er l’aléa judiciaire
Le renouveau de l’IA dans l’univers juridique est apparu sous la forme d’études
académiques ayant recours aux techniques de traitement des langues naturelles (TAL) à des fins de prédiction. En mai 2016, l’une de ces études a fait grand
bruit. Des chercheurs sont parvenus, grâce à une méthode de TAL assez élémentaire, à prédire les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme
avec une précision allant jusqu’à 79 % [16]. Quelques années plus tard, des
chercheurs canadiens sont parvenus à prédire avec une précision de 93,7 %
des décisions d’une juridiction spécialisée dans le contentieux des baux d’habitation [17]. Plus proches de nous encore, des chercheurs européens ont réussi
à prédire les dispositifs d’arrêt de la Cour de cassation avec une précision de
98,6 % [18]. Ces recherches, si elles affichent des performances étonnantes,
doivent être mises en perspective. Ces prédictions reposent sur la fréquence
de certains mots ou groupes de mots dans les décisions. Elles ne relient pas
à proprement parler, les faits d’une espèce à la décision de justice. Toutefois,
elles ont ouvert un champ d’études sur la modélisation des processus de décisions des juges.
Ces travaux ont pris des formes concrètes lorsque des legaltechs ont investi ce
champ expérimental pour élaborer des outils capables de quantifier l’aléa judiciaire, autrement dit, d’évaluer les chances de succès d’une action en justice.
Predictice, qui a été l’une des premières entreprises à investir le marché, délivre
des informations générales sur le taux d’acceptation en justice de di昀昀érents
chefs de jugement. Il est ainsi possible de savoir qu’en matière de caducité du
contrat, le taux d’acceptation est jugé élevé, puisque plus de 60 % des demandes
sont « acceptées » par les juges. Cet outil met en relation des chefs de prétentions
avec des chefs de jugements. Il n’individualise pas les a昀昀aires en fonction des
caractéristiques propres à chaque espèce (notamment les faits du litige).
Des solutions plus précises ont été développées, notamment par Case law analytics [19] sur plusieurs domaines du droit et, dans le domaine spécialisé des
indemnités de licenciement, par Legalquantum [20]. La quantification de l’aléa
judiciaire constitue une tâche hautement complexe. Il s’agit de mettre en relation les données factuelles d’une a昀昀aire avec les di昀昀érentes options qui s’o昀昀rent
au juge. Pour cela, l’apprentissage machine repose sur un travail très précis
d’annotation et de structuration des faits à partir de l’analyse, par des personnes
humaines, de décisions de justice. Chaque décision est intégrée dans une grille.
Par exemple, pour modéliser les décisions rendues en matière de prestation
compensatoire, la grille d’analyse doit comprendre des informations sur les
58
[16] N. Aletras, D.Tsarapatsanis,
D. Preotiuc-Pietro, V. Lampos,
Predicting judicial decisions of
the European Court of Human
Rights: A natural language
processing perspective, PeerJ
Computer Science, 2016, 2.
[17] O. Salaün, Ph. Langlais,
A. Lou, H. Westermann, K.
Benyekhlef, “Analysis and
Multilabel Classi昀椀cation of
Quebec Court Decisions in
the Domain of Housing Law”,
Natural Language Processing
and Information Systems
(International Conference on
Applications of Natural Language
to Information Systems), 2020,
pp.135-143.
[18] O. Sulea, M. Zampieri, Sh.
Malmasi, M. Vela, L. Dinu, J. van
Genabith, Exploring the Use of
Text Classi昀椀cation in the Legal
Domain, Proceedings of the
2nd Workshop on Automated
Semantic Analysis of Information
in Legal Texts (ASAIL 2017).
[19] Rachetée en 2023
par Lexisnexis, la solution
Caselawanalytics est
aujourd’hui distribuée sous
la forme d’un « simulateur de
décisions de justice ».
[20] V. le site Legal Quantum
qui propose une solution dite
de « pricing de la rupture du
contrat de travail au service
de l’amiable ».